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s’effaça bien vite quand elle ajouta : — Nous allons faire la guerre,… nous allons nous battre,… nous allons courir la montagne…

— Comment ? nous allons ! nous allons !… s’écria le brave homme tout ébahi.

— Mais oui. Est-ce que nous ne partons pas ? dit-elle d’un ton de regret.

— C’est-à-dire… il faut que je te quitte pour quelque temps, mon enfant.

— Me quitter… Oh ! que non ; je pars avec vous, c’est convenu… Tenez, voyez, mon petit paquet est déjà prêt, et voici le vôtre que j’arrange… Ne vous inquiétez de rien, laissez-moi faire, et vous serez content !

Hullin ne revenait pas de sa stupeur. — Mais, Louise, s’écria-t-il, tu n’y songes pas… Réfléchis donc ; il faudra passer des nuits dehors, marcher, courir, et le froid, la neige, les coups de fusil ! Cela ne se peut pas.

— Voyons, s’écria la jeune fille d’une voix pleine de larmes en se jetant dans ses bras, ne me faites pas de peine ! Vous voulez rire de votre petite Louise ;… vous ne pouvez pas l’abandonner !

— Mais tu seras bien mieux ici,… tu auras chaud,… tu recevras de nos nouvelles tous les jours.

— Non, non, je ne veux pas, moi ; je veux sortir. Le froid ne me fait rien… Il y a trop longtemps que je suis enfermée. Je veux prendre un peu d’air aussi. Est-ce que les oiseaux ne sortent pas ? Les bouvreuils, les rouges-gorges sont dehors tout l’hiver. Est-ce que je n’ai pas senti le froid toute petite ? et la faim encore !

Elle frappait du pied, puis pour la troisième fois entourant le cou de Jean-Claude de ses bras : — Allons, papa Hullin, dit-elle d’une voix tendre, maman Lefèvre a dit oui,… serez-vous plus méchant qu’elle ? Ah ! si vous saviez comme je vous aime !

Le brave homme tout attendri s’était assis, et détournait la tête, comme pour ne pas se laisser fléchir et ne pas permettre qu’on l’embrassât.

— Oh ! que vous êtes méchant aujourd’hui, papa Jean-Claude !

— C’est pour toi, mon enfant.

— Eh bien ! tant pis,… je me sauverai, je courrai après vous ! Le froid,… qu’est-ce que le froid ? Et si vous êtes blessé, si vous demandez à voir votre petite Louise pour la dernière fois, et qu’elle ne se trouve pas là, près de vous, pour vous soigner, pour vous aimer jusqu’à la fin !… Oh ! vous me croyez donc bien mauvais cœur !

Elle sanglotait. Hullin ne put y tenir davantage. — Est-ce bien vrai que maman Lefèvre consent ? demanda-t-il.

— Oh ! oui, oh ! oui, elle me l’a dit… Elle m’a dit : « Tâche de