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l’alcôve, l’escabeau, le bahut, la lampe à bec de cuivre, tout se retraça dans son esprit comme une vivante peinture, et les larmes lui en vinrent aux yeux.

Mais c’est surtout Louise, sa chère enfant, qu’il plaignait. Qu’elle allait répandre de larmes ! qu’elle allait le supplier de renoncer à la guerre !… Et comme elle allait se pendre à son cou, lui disant : — Oh ! ne me quittez pas, papa Jean-Claude ! Oh ! je vous aimerai bien !… Oh ! n’est-ce pas que vous ne voulez pas m’abandonner ?

Et le brave homme voyait ses beaux yeux effrayés ; il sentait ses bras à son cou. Il songeait à la tromper, à lui faire croire quelque chose, n’importe quoi, pour expliquer son absence et la rassurer ; mais de tels moyens n’entraient pas dans son caractère, et sa tristesse en devenait plus grande.

En passant devant la ferme du Bois-de-Chênes, il entra pour dire à Catherine Lefèvre que tout allait bien et que les montagnards n’attendaient plus que le signal. Un quart d’heure après, maître Jean-Claude débouchait par le sentier des Houx en face de sa maisonnette. Avant de pousser la porte criarde, l’idée lui vint de voir ce que faisait Louise en ce moment. Il jeta donc un coup d’œil dans la petite chambre, par la fenêtre. Louise était debout contre les rideaux de l’alcôve ; elle semblait fort animée, arrangeant, pliant et dépliant des habits étendus sur le lit. Sa douce figure rayonnait de bonheur, et ses grands yeux bleus brillaient d’une sorte d’enthousiasme ; elle parlait même tout haut. Hullin prêta l’oreille, mais une charrette passait justement dans la rue, il ne put rien entendre.

Prenant alors sa résolution à deux mains, il entra en disant d’une voix ferme : — Louise, me voilà de retour.

Aussitôt la jeune fille, toute joyeuse et bondissant comme une biche, accourut l’embrasser. — Ah ! c’est vous, papa Jean-Claude ;… je vous attendais. Mon Dieu !… mon Dieu ! que vous êtes donc resté longtemps !… Enfin vous voilà.

— C’est que, mon enfant,… répondit le brave homme d’un accent moins décidé en déposant son bâton derrière la porte et son chapeau sur la table, c’est que…

Il ne put en dire davantage.

— Oui, oui, vous êtes allé voir nos amis, dit la jeune fille en riant ; je sais tout, maman Lefèvre m’a tout dit.

— Comment tu sais ?… Et ça ne te fait rien ? Tant mieux, tant mieux, cela prouve ton bon sens. Moi qui craignais de te voir pleurer…

— Pleurer ! et pourquoi donc, papa Jean-Claude ? Oh ! j’ai du courage ; vous ne me connaissez pas, allez !

Elle prit un petit air résolu qui fit sourire Hullin, mais ce sourire