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— Marc, dit Hullin, puis-je parler devant ta femme ?

— Elle et moi, nous ne faisons qu’un.

— Eh bien ! Marc, je viens t’acheter de la poudre et du plomb.

— Pour tirer des lièvres, n’est-ce pas ? fit le contrebandier en clignant des yeux.

— Non, pour nous battre contre les Allemands et les Russes.

Il y eut un instant de silence.

— Et il te faudra beaucoup de poudre et de plomb ?

— Tout ce que tu pourras fournir.

— Je puis en fournir aujourd’hui pour trois mille francs, dit le contrebandier.

— Je les prends.

— Et autant dans huit jours, ajouta Marc du même ton calme et l’œil attentif.

— Je les prends.

— Vous les prenez, s’écria Hexe-Baizel, vous les prenez, je le crois bien ; mais qui est-ce qui les paie ?

— Tais-toi, dit Marc d’un ton rude, Hullin les prend ; sa parole me suffit.

Puis, lui tendant sa large main avec une expression cordiale : — Jean-Claude, voici ma main, la poudre et le plomb sont à toi ; mais je veux en dépenser ma part, tu comprends !

— Oui, Marc ; seulement j’entends te payer tout de suite.

— Il paiera, dit Hexe-Baizel, tu l’entends ?

— Eh ! je ne suis pas sourd ! Baizel, va nous chercher une bouteille de brimbelle-wasser, que nous nous réchauffions un peu le cœur. Ce que Hullin vient de me dire me réjouit. Ces gueux de kaiserliks n’auront pas aussi beau jeu contre nous que je le croyais. Il paraît qu’on veut se défendre, et solidement ?

— Oui, solidement !

— Et il y a des gens qui paient ?

— C’est Catherine Lefèvre qui paie, et c’est elle qui m’envoie, dit Hullin.

Alors Marc Divès se leva, et d’une voix grave, la main étendue vers les précipices, il s’écria : — C’est une femme ! une femme aussi grande que ce rocher là-bas, l’Oxenstein, le plus grand que j’aie jamais vu de ma vie. Je bois à sa santé ! Bois aussi, Jean-Claude !

Hullin but, puis la vieille.

— Maintenant tout est dit, s’écria Divès ; mais écoute, Hullin, il ne faut pas croire que ce sera facile de se mettre en travers ; tous les braconniers, tous les ségares[1], tous les schlitteurs, tous les bûcherons de la montagne ne seront pas de trop. J’arrive de l’autre côté

  1. Les ségares sont les ouvriers d’une scierie.