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murmurer le nom de Gaspard, et ouvrir ses tiroirs, ses boîtes, sans doute afin d’y retrouver quelques souvenirs et leur parler d’amour. Ainsi la fauvette inondée par l’orage, tout en grelottant, se met à chanter et à sautiller de branche en branche au premier rayon de soleil.


V.

Lorsque Jean-Claude Hullin, en manches de chemise, poussa le lendemain les contrevens de sa maisonnette, il vit toutes les montagnes voisines, — le Jägerthâl, le Grosmann, le Donon, — couvertes de neige. Ce premier aspect de l’hiver survenu pendant notre sommeil a quelque chose de saisissant : les vieux sapins, les rochers moussus, parés encore la veille de leur verdure et maintenant scintillans de givre, remplissent notre âme d’une tristesse indéfinissable. — Encore une année finie, se dit-on, encore une rude saison à passer avant le retour des fleurs ! Et l’on s’empresse de revêtir la grosse houppelande, d’allumer le feu.

Hullin mit ses gros souliers ferrés à double semelle, et passa sur sa veste la grande camisole de bure. Il entendait Louise marcher au-dessus de sa tête dans la petite mansarde. — Louise, cria-t-il, je pars !

— Comment ! vous sortez encore aujourd’hui ?

— Oui, mon enfant, il le faut ; mes affaires ne sont pas terminées.

Puis, s’étant coiffé de son large feutre, il monta l’escalier et dit à demi-voix : — Tu ne m’attendras pas de si tôt, mon enfant… J’ai des courses à faire assez loin… Ne sois pas inquiète… Si l’on te demande où je suis, tu répondras : Chez le cousin Mathias, à Saverne.

— Vous ne déjeunez donc pas avant de partir ?

— Non : j’ai mis une croûte de pain et la petite gourde d’eau-de-vie dans ma poche. Adieu, mon enfant… Réjouis-toi, rêve à Gaspard.

Et, sans attendre de nouvelles questions, il prit son bâton et sortit de la maisonnette en se dirigeant vers la colline des Roches, à gauche du village. Au bout d’un quart d’heure environ, il l’avait dépassée et gagnait le sentier des Trois-Fontaines, qui tourne autour du Falkenstein en suivant le petit mur de pierres sèches de l’ancien burg. Les premières neiges, qui ne tiennent jamais à l’ombre humide des vallons, commençaient à se fondre et s’écoulaient dans le sentier. Hullin monta sur le mur pour gravir la côte. Jetant alors par hasard un coup d’œil sur le village, à deux portées de carabine, il vit quelques commères balayer le devant de leur porte, quelques têtes grises se souhaiter le bonjour en fumant leur première pipe sur le seuil des chaumières. Ce calme profond de la vie en présence des pensées qui l’agitaient le saisit : il poursuivit sa route tout songeur,