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lui, droite dans son fauteuil, les yeux fixes, attentifs : — Ainsi ça va mal… décidément… Nous allons avoir la guerre chez nous ?

— Oui, Catherine, du jour au lendemain il faut nous attendre à voir les alliés dans nos montagnes.

— Je m’en doutais,… j’en étais sûre ; mais parlez, Jean-Claude.

Hullin alors, les coudes en avant, ses grosses oreilles rouges entre les mains et baissant la voix, se mit à raconter tout ce qu’il avait vu dans les moindres détails : les abatages autour de la ville, l’organisation des batteries sur les remparts, la publication de l’état de siége, les charrettes de blessés sur la place d’armes. De temps en temps il faisait une pause, et la vieille fermière clignait des yeux lentement, comme pour graver les faits dans sa mémoire. Puis à la fin de cette lugubre histoire il y eut un long silence, et tous deux se regardèrent sans murmurer une parole.

Au bout de quelques instans : — Vous le voyez, Jean-Claude, dit Catherine d’un ton grave, Yégof n’avait pas tort !

— Sans doute, sans doute, il n’avait pas tort, répondit Hullin ; mais qu’est-ce que cela prouve ? Un fou qui va de village en village, qui descend en Alsace, qui remonte en Lorraine, qui vague à droite, à gauche, ce serait bien étonnant s’il ne voyait rien, s’il ne disait pas de temps en temps une vérité parmi ses folies. Tout s’embrouille dans sa tête, et les autres croient comprendre ce qu’il ne comprend pas lui-même… Mais il ne s’agit pas de ces histoires de fou, Catherine. Les Prussiens et les Autrichiens arrivent. Il s’agit de savoir si nous les laisserons passer, ou si nous aurons le courage de nous défendre.

— De nous défendre ? s’écria la vieille, dont les joues pâles frémirent ; si nous aurons le courage de nous défendre ? Ce n’est pas à moi, Hullin, que vous croyez parler. Comment ?… mais est-ce que nous valons moins que nos anciens ? Est-ce qu’ils ne se sont pas défendus, eux ?… Est-ce qu’il n’a pas fallu les exterminer, hommes, femmes et enfans ?

— Alors vous êtes pour la défense, Catherine ?

— Oui, oui,… tant qu’il me restera un morceau de chair sur les os ! Qu’ils arrivent ! qu’ils arrivent ! La vieille Catherine est là.

Ses grands cheveux gris s’agitaient sur sa tête, ses joues pâles et rigides frémissaient, et ses yeux lançaient des éclairs. Elle était belle à voir, belle comme cette vieille Margareth dont avait parlé le fou. Hullin lui tendit la main ; il souriait d’un air enthousiaste. — À la bonne heure, s’écria-t-il, à la bonne heure… Nous sommes toujours les mêmes dans la famille. Je vous reconnais, Catherine : vous voilà debout ; mais un peu de calme, écoutez-moi. Nous allons nous battre… et par quels moyens ?

— Par tous les moyens ;… tous sont bons, les haches, les faux, les fourches…