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— Un courrier vient d’arriver ventre à terre… Il est entré par la porte de France.

— Alors il vient annoncer la garde nationale de Nancy.

— Ou peut-être un convoi de Metz.

— Vous avez raison… Les boulets de seize manquent… Il faudrait aussi de la mitraille. On va casser les fourneaux pour en faire.

Quelques bons bourgeois en manches de chemise, debout sur des tables, le long des trottoirs, s’occupaient à blinder leurs fenêtres avec de grosses pièces de bois et des paillasses ; d’autres roulaient devant leurs portes des cuves d’eau. Cet enthousiasme ranima Hullin. — À la bonne heure ! s’écria-t-il, tout le monde est de la fête ici… Les alliés seront bien reçus.

En face du collège, la voix glapissante du sergent de ville Harmentier criait : « Faisons savoir que les casemates vont être ouvertes, à cette fin que chacun puisse y faire transporter un matelas et deux couvertures par personne. — Et que messieurs les commissaires de la place vont commencer leur tournée d’inspection, pour reconnaître que chaque habitant a trois mois de vivres d’avance, dont il devra justifier. — Cejourd’hui 20 décembre 1813. — Jean-Pierre Meunier, gouverneur. »

Tout cela, Hullin le vit et l’entendit en moins d’une minute, car toute la ville était en l’air. Des scènes étranges, sérieuses, comiques, se succédaient sans interruption. Vers la ruelle de l’arsenal, quelques gardes nationaux traînaient une pièce de vingt-quatre. Ces braves gens avaient une pente assez rapide à gravir ; ils n’en pouvaient plus.

— Hue ! de l’ensemble, mille tonnerres ! Encore un coup d’épaule !… En avant !

Tous criaient à la fois, poussaient aux roues, et la grosse pièce, allongeant son long cou de bronze sur son immense affût, au-dessus des têtes, roulait lentement et faisait frémir le pavé. Hullin, tout réjoui, n’était plus le même homme : ses instincts de soldat, le souvenir du bivac, des marches, de la fusillade et de la bataille, tout cela lui revenait au pas de charge ; son regard étincelait, son cœur battait plus vite, et déjà des idées de défense, de retranchemens, de lutte à mort, allaient et venaient dans sa tête. — Ma foi ! se disait-il, tout va bien ! J’ai fait assez de sabots dans ma vie, et puisque l’occasion se présente de reprendre le mousquet, eh bien ! tant mieux ; nous allons montrer aux Prussiens et aux Autrichiens que nous n’avons pas oublié la charge en douze temps.

Devant l’église, sur la place d’armes, stationnaient quinze ou vingt charrettes de blessés, arrivant de Leipzig et de Hanau. Ces malheureux, pâles, hâves, l’œil sombre, les uns déjà amputés, les autres n’ayant pas même été pansés, attendaient tranquillement la mort. Auprès d’eux, quelques vieilles haridelles rousses, le dos cou-