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deux poudrières, tout le reste se cache derrière les lacis. Telle est la petite ville de Phalsbourg, qui ne manque pas d’un certain caractère de grandeur, surtout lorsqu’on traverse ses ponts et qu’on pénètre sous ses portes trapues, garnies de herses à dents de fer. À l’intérieur, les maisons se distribuent par quartiers réguliers ; elles sont basses, bien alignées, construites en pierres de taille ; tout y porte le cachet militaire.

Hullin, poussé par sa robuste nature et son humeur joyeuse à ne jamais trop s’alarmer pour les choses à venir, considérait tous les bruits de retraite, de débâcle et d’invasion qui circulaient dans le pays comme autant de mensonges propagés par la mauvaise foi. Aussi qu’on juge de sa stupéfaction lorsqu’au sortir de la montagne et sur la lisière des bois, il vit le tour de la ville rasé comme un ponton : plus un jardin, plus un verger, plus une promenade, plus un arbre, plus une broussaille ; tout était abattu à portée de canon. Quelques pauvres diables ramassaient les derniers débris de leurs maisonnettes et les portaient en ville. On ne voyait plus rien à l’horizon que le cordon des remparts traçant sa ligne sombre au-dessus des chemins couverts. Ce fut un coup de foudre pour Jean-Claude ; durant quelques minutes, il ne put articuler une parole ni faire un pas. — Oh ! dit-il enfin, cela va mal, très mal ! On attend l’ennemi !

Puis, ses instincts guerriers reprenant le dessus, un flot de sang colora ses joues brunes. — Ce sont pourtant ces gueux d’Autrichiens, de Prussiens, de Russes, et tous ces misérables ramassés jusqu’au fond de l’Europe qui sont cause de tout cela ! s’écria-t-il en agitant sa trique ; mais gare ! nous leur ferons payer le dégât !…

Il était possédé d’une de ces colères blanches telles qu’en éprouvent les honnêtes gens lorsqu’on les pousse à bout. Malheur à celui qui l’aurait regardé de travers en ce moment ! Vingt minutes après, il entrait en ville, à la suite d’une longue file de voitures attelées de cinq et six chevaux, tramant à grand’peine d’énormes troncs d’arbres destinés à construire des blockhaus sur la place d’armes. Entre les conducteurs, les paysans et les chevaux hennissant, tempêtant, faisant feu des quatre pieds, marchait gravement un gendarme à cheval, le père Kels, qui semblait ne rien entendre et disait d’un ton rude : — Courage, courage, mes amis,… nous ferons encore deux tournées jusqu’à ce soir… Vous aurez bien mérité de la patrie !

Jean-Claude franchit le pont. Un nouveau spectacle s’offrit à lui dans la ville. Là régnait l’ardeur de la défense : toutes les portes étaient ouvertes ; hommes, femmes, enfans allaient, couraient, aidaient à transporter les poudres et les projectiles. On s’arrêtait par groupes de trois, quatre, six, pour s’informer des nouvelles.

— Hé ! voisin !

— Quoi donc ?