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payer indirectement une partie de nos engagemens vis-à-vis des autres marchés ; mais ce moyen de rétablir la balance commerciale nous fait aujourd’hui défaut.

Que ces divers traits rassemblés pour dépeindre les difficultés présentes de la situation commerciale de la France soient conformes à la vérité, nous n’avons pas le pouvoir de le contester ; mais nous avons le droit d’être étonnés qu’ils se soient produits tout à coup comme une révélation subite, et qu’aucune pensée prévoyante n’ait pris soin de les démêler d’avance, afin d’en conjurer, en temps opportun les effets. On dirait que le gouvernement lui-même a été, comme tout le monde, surpris par la crise à l’improviste. On ne comprend pas comment il se fait qu’un gouvernement qui a tant d’agens à ses ordres, qui, par la perfection de son mécanisme centralisateur, atteint toutes les parties du territoire, n’ait pas connu approximativement le résultat de la récolte dès les premières semaines qui l’ont suivie. Tout un ordre de prévisions et de précautions devait être déterminé pour l’administration par des informations opportunes. Sans doute toutes les conséquences fâcheuses de la situation actuelle n’eussent pas pu être prévenues : nous ne pouvons rien sur les mouvemens auxquels donne lieu l’application du traité de commerce, nous ne pouvons rien sur la guerre intestine qui dévore l’Amérique du Nord ; mais, s’il est vrai que les gros versemens appelés dans un très court espace de temps par l’emprunt italien doivent nous causer de graves embarras monétaires, sans empiéter sur les droits d’un gouvernement indépendant, n’aurions-nous pas pu obtenir du cabinet de Turin, par d’amicales représentations, qu’il soulageât notre marché en étendant les délais et en diminuant les quotités des versemens de l’emprunt italien ? S’il est vrai que l’encaisse de la Banque, qui est la réserve métallique de notre commerce, soit menacé par les appels faits aux capitaux français pour des entreprises étrangères, l’administration, par d’officieux avis, n’eût-elle pas pu empêcher ceux de ces appels qui choquent le plus l’opinion ? Nous ne sommes pas certes partisans de l’immixtion du pouvoir dans les affaires particulières ; mais le gouvernement ne professe point à cet égard les mêmes principes que nous : il a cru devoir favoriser la création d’établissemens de crédit privilégiés ; il a fondé des institutions de banque qui sortent du droit commun ; il se mêle chaque année de fixer le chiffre des dépenses qu’auront à faire nos compagnies de chemins de fer. Il eût été prudent et en même temps conséquent avec lui-même, s’il eût par exemple prié la société du Crédit mobilier de ne point appeler le versement dans ses caisses, pour le compte du Crédit mobilier espagnol, d’une somme de 18 millions dont le besoin pour cet établissement de crédit n’a été justifié par aucune explication. Et certes tout le monde conviendra que les conseils du gouvernement ne pourraient pas demeurer sans influence sur une institution qui est son œuvre ; mais il est évident que dans cette circonstance le gouvernement, ce terrible solitaire « qui sait tout, qui voit tout et qui est partout, » a connu les faits trop tard, et n’a pas su en apprécier à temps la portée.