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et le rétrécissement du crédit commercial. Nous souhaitions qu’il fût possible que tant que la banque d’Angleterre laisserait l’escompte à 3 1/2, la Banque de France ne relevât pas chez nous au-dessus de 5, et nous ne pensions point émettre un vœu chimérique. La justesse de notre opinion, nous le reconnaissons, dépendait d’un élément dont l’appréciation exacte n’était point à notre portée. Cet élément était le degré même du déficit de la récolte. Privés des informations précises que l’administration supérieure et les grands établissemens de crédit et de commerce peuvent seuls posséder, il ne nous était pas possible de connaître l’étendue vraie du déficit de la récolte : nous nous en tenions donc à l’estimation générale qui le portait à environ dix millions d’hectolitres. Si le déficit ne dépassait pas ce chiffre, dix millions d’hectolitres à importer de l’étranger représentant une somme de 250 à 300 millions de francs, et une partie seulement de cette somme devant être payée en numéraire, nous pensions que la Banque eût pu tenter une expérience hardie, nous l’admettons, mais salutaire, et consentir à fournir une partie de son encaisse aux besoins de l’exportation métallique, en se contentant de laisser l’escompte en France à 11/2 au-dessus du taux où il est en Angleterre. C’est en supposant l’exactitude de la donnée généralement admise sur le chiffre qui exprime le déficit de la récolte que nous avions pris la liberté de critiquer la résolution prise par la Banque d’élever le taux de l’escompte. Notre opposition à la Banque n’était point une opposition de principes ; elle ne portait que sur une question de conduite, dans l’hypothèse que le déficit de la récolte n’eût point dépassé un certain chiffre.

Il paraît aujourd’hui que l’on ne peut plus s’en tenir à cette hypothèse. Des évaluations émises dans des circulaires commerciales portent au cinquième et même au quart de la récolte l’étendue du déficit. Ces évaluations, d’après lesquelles la France aurait à demander à l’étranger 15 et même 20 millions d’hectolitres de blé, ne sont pas démenties. De nouvelles mesures prises par la Banque donneraient même à penser que, dans les hautes régions commerciales, ces évaluations sont acceptées comme vraisemblables. À cette cause de perturbation du marché monétaire, on en ajoute d’autres. L’emprunt italien, dit-on, a, été souscrit pour près de moitié en France. Les versemens de cet emprunt doivent se faire à des époques très rapprochées. C’est une nouvelle cause d’exportation de numéraire qui viendra peser sur nous dans un moment de détresse. On allègue que des entreprises étrangères, dont les actions sont placées surtout en France, font des appels considérables qui vont entraîner des sorties d’espèces. On ajoute l’influence de l’application du traité de commerce avec l’Angleterre : nous allons recevoir d’immenses quantités de produits anglais que nous ne sommes pas prêts encore à échanger contre nos propres produits, et dont il faudra payer au moins une partie en or. Enfin on fait remarquer la coïncidence fâcheuse de la cessation de nos exportations pour l’Amérique. Ces exportations s’élevaient à environ 200 millions. Avec une pareille somme, nous aurions pu