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défendu depuis sept mois leurs murs[1] quand on n’aurait pas cru qu’ils pussent les défendre sept jours, et conduit les choses à ce point que s’ils étaient désormais vainqueurs, nul ne s’en étonnerait. Leur obstination n’a d’autre source que la foi qu’ils ont de ne pouvoir périr, suivant la prédiction de Jérôme Savonarole.

« Ce n’est pas un bien suprême que d’avoir des amis. Cependant, quand vous pouvez, ne perdez point l’occasion d’en acquérir, car les rapports sont fréquens entre les hommes; les amis servent et les ennemis nuisent en des temps et des circonstances qu’on n’a pas prévus.

« Priez Dieu de ne vous point trouver mêlé aux vaincus, — dove si perde, — parce que, n’eussiez-vous aucune part réelle dans la défaite, il en rejaillira quelque chose sur vous; pouvez-vous aller sur toutes les places et dans toutes les assemblées pour vous justifier? Par contre, celui qui se trouve mêlé aux vainqueurs, — dove si vince, — en remporte toujours quelque profit, n’eût-il absolument rien fait pour cela.

« Nie obstinément ce que tu ne veux pas qui soit su, affirme obstinément ce que tu veux qu’on croie, car, quand même l’effet contraire aurait toute probabilité et presque toute certitude, nier ou affirmer gaillardement met toujours quelque trouble dans la cervelle de celui qui t’écoute.

« La vraie et ferme sécurité consiste en ceci, que celui qui voudrait te nuire ne le puisse pas faire; celle qui se fonde sur la sagesse et la bonne volonté d’autrui est trompeuse, tant il y a peu de foi et de justice parmi les hommes. »


Ce n’est pas assez de mettre à profit la faiblesse et les fautes des hommes; Guichardin veut encore (c’est de sa part une principale étude) tourner en instrumens utiles leurs bonnes qualités et leurs vertus : par là surtout, ces qualités et ces vertus vaudront à ses yeux. Il n’oublie pas d’ailleurs qu’on pourrait bien ressentir un certain plaisir à agir noblement, et cela serait un nouveau profit; bien plus, il se pourrait que ce fût avantageux et bon par soi-même : en tout cas, le plus sûr est peut-être de devenir vertueux réellement pour paraître tel. Guichardin descend jusque-là; il conduit jusqu’à ces extrémités sa théorie de l’utile :


« Ni Alexandre le Grand, ni César, ni les autres capitaines qui ont eu cette gloire n’usèrent jamais de la clémence lorsqu’elle eût pu affaiblir ou mettre en péril leur victoire : c’eût été de la démence; mais ils ne manquèrent pas d’en user dans les cas où, sans diminuer leur sécurité, elle pouvait leur attirer l’admiration des hommes.

« Se venger n’est pas toujours l’effet de la haine ou d’une mauvaise nature; c’est quelquefois nécessaire pour se faire craindre. Il se peut très bien qu’on se venge sans avoir dans l’âme aucune sorte de rancune.

« Faites plus de fondement sur celui qui a besoin de vous ou dont les intérêts sont d’accord avec les vôtres que sur celui dont vous avez été le bien-

  1. Il s’agit du siège de 1529.