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une girafe, un lion et des béliers...; à celui dont les discours publics et privés étaient d’une pénétration et d’une habileté qui, en diverses occasions, notamment à la diète de Crémone, lui valurent de grands avantages; à celui enfin dont les lettres respirent le plus vif esprit, que rehaussaient une grande éloquence et la parfaite élégance de l’expression[1]... Il aima la prééminence et la gloire plus qu’homme au monde, et on peut lui reprocher d’avoir porté cet appétit jusque dans les choses minimes, ne voulant être surpassé ou imité par personne, ni dans les vers, ni dans les jeux, ni dans les exercices du corps, sachant mauvais gré à qui le tentait, et voulant de même égaler et surpasser dans les grandes choses les autres princes de l’Italie, ce qui déplaisait fort au duc Louis Sforza. Néanmoins, à tout prendre, in universum, cette passion de gloire fut digne d’éloges, et son nom n’eût point été célébré en tous lieux, même hors de l’Italie, s’il n’eût voulu que de son temps les arts et toutes les choses de l’intelligence fussent cultivés plus excellemment à Florence qu’en aucune autre ville du monde.

« Quant aux lettres, il établit à Pise une école pour la philosophie et pour les arts libéraux, et, comme il lui était démontré par beaucoup de raisons qu’elle ne pourrait rivaliser pour le nombre d’étudians avec les écoles de Pavie et de Padoue, il dit qu’il lui suffisait que la réunion des professeurs y fût la première par le mérite. On y vit professer en effet, généreusement payés, les hommes les plus éminens et les plus fameux de toute l’Italie, Laurent n’épargnant pour les avoir ni argent ni peine. C’est ainsi que l’étude des humanités se développa sous messire Ange Politien, l’étude du grec sous messire Démétrius, puis sous Lascaris, la philosophie et les sciences sous Marsile Ficin, maître George Benigno, le comte de La Mirandole et d’autres hommes excellens. Il accorda une même faveur à la poésie en langue vulgaire, à la musique, à l’architecture, à la peinture, à la sculpture, si bien que la cité était remplie de toutes ces délicatesses (gentilezze), lesquelles surgissaient (emergevano) d’autant plus innombrables que Laurent, d’un esprit universel, en donnait son jugement et savait discerner les habiles, qui, pour lui plaire, travaillaient alors à l’envi l’un de l’autre. Ajoutez sa libéralité infinie, fournissant à tous les hommes de mérite les instrumens et les moyens du travail, comme par exemple lorsque, pour composer une bibliothèque grecque, il envoya Lascaris, savant homme qui enseignait le grec à Florence, chercher jusqu’en Grèce même des livres anciens et précieux.

« Cette même libéralité maintenait sa réputation au dehors et ses bonnes relations avec les princes italiens et étrangers, car il n’y avait sorte de magnificence qu’avec ses grandes richesses il ne se permît pour obliger les hommes illustres de son temps. Aussi, ses dépenses augmentant sans cesse à Lyon, à Milan, à Bruges et en d’autres villes où étaient ses comptoirs de commerce, et ses gains diminuant par la mauvaise direction d’agens comme Lionetto de’ Rossi, Tommaso Portinari, etc., lui-même ne s’entendant pas

  1. M. Canestrini promet la publication de ces Lettres de Laurent le Magnifique relatives à son gouvernement, encore inédites.