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énumère les fautes qui doivent expliquer son échec. Il lui reproche sérieusement d’avoir indisposé le pape dans un moment où il fallait le ménager pour reprendre Pise par son aide. Négligeant enfin l’histoire intérieure de Florence, passant entièrement cette fois sous silence l’influence exercée par Savonarole sur le gouvernement de la cité et sa réforme passagère des mœurs, prenant une vue plus large, Guichardin s’étend sur le rôle que Savonarole aurait voulu jouer comme réformateur de l’église au moyen d’un concile général. Il termine enfin son récit de la mort de l’illustre dominicain par ces lignes équivoques et glacées : « Il mourut avec constance, mais sans rien dire qui pût faire juger s’il était innocent ou coupable, et sa mort ne fixa point les jugemens passionnés des hommes. Beaucoup demeurèrent persuadés que c’était un imposteur; d’autres restèrent convaincus que l’interrogatoire rendu public était une pièce fabriquée, ou que la force des tourmens plutôt que celle de la vérité avait vaincu sa complexion, qui était faible et délicate; même ils excusaient cette faiblesse par celle du prince des apôtres, qui, sans être emprisonné, ni torturé, ni violenté d’aucune manière, mais sur de simples paroles de serviteurs et de servantes, renia le maître dont il avait entendu les divins préceptes et vu de ses yeux tant de miracles. »

Peut-être faut-il du moins savoir gré à Guichardin de ces dernières lignes. Peut-être y a-t-il de sa part quelque reste de sympathie à se faire également l’écho de ceux qui ont condamné et de ceux qui ont excusé Savonarole, et à rapporter même l’excuse dont ses persévérans admirateurs couvraient ses derniers aveux. Peut-être est-ce le souvenir de ce qu’il a vu et entendu pendant son enfance qui suspend encore son jugement en présence de cette question : Savonarole fut-il fourbe ou sincère? Mais, chose remarquable, la pensée de l’insuccès final semble maintenant non seulement l’empêcher de reconnaître la grandeur du prophète, mais encore lui faire révoquer en doute cette habileté de l’homme pour laquelle tout à l’heure il réservait dans tous les cas son admiration. Tout à l’heure il pouvait, en suspendant sa réponse, ne pas dissimuler quelques évidentes et sincères émotions; maintenant l’avenir avait parlé : l’œuvre de Savonarole avait péri, son échec était incontestable; adieu donc au sympathique et inutile souvenir d’une entreprise éphémère! Ce n’était pas en effet de bonnes intentions, d’honnêtes et vains efforts que l’Italie du XVIe siècle avait besoin, mais de solides réalités, d’énergiques et durables réformes, de force et de succès. Dans le premier de ces deux ouvrages, on entendait parler la conscience de Guichardin aux prises avec le froid calcul ; dans le second, nous avons l’historien ou plutôt le politique, préoccupé non