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laquelle avait pu l’exposer un capricieux élan de son imagination sans frein. Quoi qu’il en soit, elle reçut Bernard, calme et souriante, tandis que, troublé, rougissant, il baissait les yeux devant elle. Elle ne lui fit part d’aucune appréhension, et pourtant il vit bien qu’elle se regardait comme déjà condamnée. Peu à peu, se rassurant et l’examinant avec une sorte de curiosité scientifique, il chercha dans les « yeux de diamant » cet éclat spécial, cette lumière sinistre dont ils brillaient naguère. Il ne l’y trouva plus. Il avait sous les yeux une autre Elsie, ferme, grave, avec une sorte d’attendrissement affectueux qu’elle prenait soin de modérer. Les anciens Dudley, si par hasard du haut du ciel ils regardaient s’éteindre ce dernier rejeton de leur race altière, avaient lieu d’être fiers de lui, car Elsie mourait également forte contre l’angoisse présente et contre les craintes de l’avenir. Bernard se demandait avec une espèce de stupéfaction ce qu’était devenue la sauvage et bizarre enfant dont le premier aspect l’avait frappé d’un vague effroi. D’elle il ne retrouvait plus rien… Non. Si cependant, un détail de costume la lui rappelait. Ses souffrances, son épuisement ne l’avaient pas encore décidée à quitter ce lourd collier d’or qui devait être pour elle à tout le moins une grande gêne, un continuel assujettissement. En revanche, elle avait ôté ses bracelets. L’un d’eux était à côté d’elle sur son oreiller, et au moment où Bernard allait prendre congé : — Je ne dois plus vous revoir, lui dit-elle. Peut-être quelque jour me nommerez-vous à celle que vous aimerez ; donnez-lui ce bijou de la part de votre élève, de votre amie Elsie…

Bernard voulut remercier, et ne put articuler une parole. Il était en ce moment, et de beaucoup, le plus faible des deux. Elle le suivit des yeux jusqu’au seuil de la porte, et, quand il l’eut franchi, un ou deux sanglots arrêtés au passage trahirent en elle une dernière émotion.


X

Le révérend Chauncy Fairweather, apprenant que la fille de son plus notable paroissien était fort malade, voulut la venir encourager et consoler. Cette visite n’était pas dans les idées du docteur. Il n’osa cependant y mettre obstacle. Le ministre vint, pérora longuement, cita beaucoup de textes, compara beaucoup.de dogmes, — toujours préoccupé de savoir si, au fond, il était, lui, dans la bonne voie. Quand il fut parti, Elsie, d’un signe, appela la vieille Sophy : — Qu’on ne laisse plus entrer ici, lui dit-elle, cet homme au cœur de glace ! Pour m’assister à ces derniers instans, pour prier sur moi quand on me déposera au sein de la terre, je veux des paroles