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en péril mon bonheur et ma vie. Plus qu’aucune autre jeune fille à moi connue vous avez besoin d’un ami loyal… Voilà ce que vous pouvez trouver en moi, et certes vous n’avez jamais souhaité autre chose… Seulement l’excitation, le trouble récent que vous ayez subis vous ont fait ressentir plus vivement la soi ! bien naturelle d’une affection vraie… Votre main, chère Elsie, et fiez-vous à moi ; fiez-vous à moi, comme si ma mère eût été la vôtre !

Machinalement elle lui tendit la main. Il lui sembla, quand il la prit, qu’un souffle glacé, courant le long de son bras, pénétrait jusqu’à son cœur. Pourtant il la serra très affectueusement, arrêta sur la jeune fille un regard empreint d’une bonté grave, d’un intérêt mélancolique, et ensuite laissa doucement retomber la main de marbre.

Pour la pauvre Elsie, tout, était dit. À la porte de la mansion-house, Bernard la quitta, sans que ni l’un ni l’autre eussent repris la parole. Il la quitta, non sans emporter d’assez funestes pressentimens.


IX

Sophy le soir, ne voyant plus reparaître sa jeune maîtresse, qui, en rentrant, s’était retirée chez elle, ne put s’empêcher de prendre peur. Elle vint à la porte de la chambre d’Elsie ; cette porte n’était point fermée en dedans. La bonne négresse entra sur la pointe des pieds, et à la vue de la jeune fille étendue sur son lit, les sourcils contractés, le regard mort, tout en elle exprimant une souffrance atroce, elle crut tout d’abord à quelque acte de désespoir. Elsie devina sans doute sa pensée secrète. — Non, lui dit-elle,… rassurez-vous,… je n’en suis pas … Envoyez chercher le docteur… Si seulement il pouvait m’ôter cet insupportable mal de tête !

Le docteur arriva au premier appel. Il avait ces grandes qualités du médecin, l’air calme, le sang-froid naturel, l’abord amical et familier. Cachant les craintes qu’il apportait au chevet d’Elsie, il lui parla sur le ton presque enjoué de la sollicitude paternelle ; mais il ne put obtenir de la jeune malade qu’elle articulât une seule parole. Quand il lui demanda : Où souffrez-vous, mon enfant ? elle lui montra sa tête, et ce fut tout. Il adressa tout bas quelques questions à Sophy, et, un peu calmé par ses réponses, il prescrivit quelques remèdes de l’ordre le plus élémentaire. — Je reviendrai demain, dit-il en s’en allant ; j’espère vous trouver rétablie. — Mais ni le lendemain, ni le surlendemain, ni les jours suivans, les souffrances ne cédèrent. Elsie restait dans son lit, agitée, fiévreuse, sans sommeil et toujours muette. La nuit, quelque trouble se manifestait dans les