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différens corps, se composait de cent quatre-vingt-seize bouches à feu.

La moitié au moins de cette armée était de vieilles troupes éprouvées dans la guerre d’Espagne, et pour celles-là une discipline implacable, telle que l’aristocratie sait l’imposer : nul espoir, nulle possibilité d’avancement pour les sous-officiers, retenus, quoi qu’ils fassent, à jamais dans les mêmes grades inférieurs. De là des guerres sans espérance, sans joie, sans récompense, mais aussi sans ambition et sans mécompte, le devoir pour les meilleurs, la crainte du châtiment pour les autres, tenant lieu d’avenir. Une obéissance aveugle lie ces troupes à leur chef, dont elles semblent avoir le tempérament. Froid, plein de sens, circonspect, le duc de Wellington ne se laissait jamais emporter ni abattre. Comme il n’avait jamais fait la guerre contre Napoléon en personne, il n’avait pour ainsi dire rien appris à son école. Il faisait la guerre méthodique et sûre des Marlborough, du prince Eugène ; il y portait la patience inébranlable d’une vieille aristocratie.

Tout n’était pas homogène dans son armée. On y comptait au plus 32,700 hommes de race anglaise ; le plus grand nombre, selon la coutume des armées britanniques, était étranger. La légion allemande avait fourni 7,500 hommes, Hanovre 15,800, Nassau 7,300, Brunswick 6,700, commandés par le duc Frédéric-Guillaume. La plupart avaient donné des gages de fidélité sur les champs de bataille ; à la solde de l’Angleterre, ils en avaient contracté l’esprit avec certaines habitudes de tactique, par lesquelles ses troupes se séparaient encore de celles du continent.

Une autre masse d’étrangers, c’était le contingent de la Belgique et de la Hollande, qui amenaient en ligne 30,000 hommes. Les historiens anglais ont montré envers ces alliés une dureté qui touche à l’ingratitude. Pour réponse, ceux-ci ont compté et nommé[1] leurs morts. Longtemps ces troupes ou du moins l3eaucoup de leurs officiers ont servi avec honneur dans l’armée française, et qui sait s’ils ne s’en souviendront pas au moment décisif ? qui sait si la mémoire de tant de victoires remportées ensemble n’étouffera pas le ressentiment des dernières années ? La vue d’anciens compagnons d’armes, celle du drapeau sous lequel on a combattu tant de fois n’ébranlera-t-elle pas de vieux soldats ? Les Hollandais et les Belges, que tout sépare, ne profiteront-ils pas du désordre de la guerre pour briser une union formée d’hier et déjà odieuse ? Ce qui est un danger pour les uns ne semblera-t-il pas une délivrance aux autres ? Autant de choses douteuses encore, et que l’événement seul peut éclaircir.

  1. Voyez le général Renard, les Allégations anglaises, van Loben Sels, 1854 ; passim.