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singulière. C’est le sujet même que l’on conteste. Pourquoi, disent quelques personnes, raconter un désastre tel que celui de Waterloo ? N’est-ce pas un devoir de l’ensevelir dans l’oubli ? Le patriotisme, n’est-ce pas de dire avec le poète :

Jamais son nom n’attristera mes vers ?


J’avoue que je suis d’une opinion bien opposée. Je crois que nous avons assez gémi sur cette journée pour avoir acquis le droit d’en scruter les causes et d’en chercher l’auteur. Il me semble que toute la génération à laquelle j’appartiens a été conduite par des raisons à peu près semblables à la même pensée. Une marque de force chez un peuple, n’est-ce pas de sonder ses plus grandes blessures ? C’est du moins la chose la plus utile quand le moment est venu de la faire avec maturité. Il y a un grand courage à manier stoïquement ses plaies, et la France ne doit manquer d’aucune sorte de courage. Qui jamais a reproché à Thucydide d’avoir décrit en deux livres le désastre de la campagne de Sicile, le Waterloo des Athéniens ?

La seconde objection est presque aussi étrange. On voudrait que l’auteur eût été plus avare de détails militaires, qu’il eût moins accordé à la stratégie et plus à la politique. Fallait-il donc retrancher du sujet le sujet lui-même ? Le côté neuf de cette histoire, fait pour attirer un esprit solide, est précisément le côté militaire. C’est là que tout est en litige, excepté l’incomparable bravoure des combattans. Napoléon est-il, oui ou non, responsable du désastre de l’armée française ? Telle est la question : ample matière non encore épuisée, à peine effleurée chez nous.

Je suppose que l’auteur a dû être tenté plus d’une fois de s’étendre outre mesure en considérations générales sur les cent jours ; il aurait eu besoin, j’imagine, de peu d’efforts pour se laisser aller à cette pente. Je le loue d’y avoir résisté. Il a bien fait de s’attacher principalement au nerf de son sujet, et de réserver, pour le traiter à fond, ce qu’il a d’énergie stoïque et de précision dans l’esprit. Par cette réserve, il a échappé au reproche d’avoir composé un ouvrage de parti. Ceux même qui eussent été le plus disposés à lui adresser ce reproche seront obligés, je crois, de reconnaître que la science pratique des faits, la recherche minutieuse des détails, la vue de l’ensemble, l’intelligence des grandes opérations, l’approximation patiente de la vérité, peuvent difficilement être portées plus loin, et ils en concluront que l’auteur s’est placé par cet ouvrage au premier rang des écrivains militaires de notre temps. J’ai vu, revu tous les lieux dont il parle ; j’ai fait mesurer de longues distances sur lesquelles on dispute encore ; je n’ai pu le prendre en faute sur un point de quelque importance. Quant à l’exactitude dans l’exposé des