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vrai que l’histoire est, non pas un jeu, mais une vérité. Après quarante ans, il était temps de regarder en face cette grande catastrophe, et, si Napoléon y est pour quelque chose, le moment était venu de le dire, de le montrer et de le publier sans mollir. Pour moi, j’avoue que j’attendais avec impatience qu’un écrivain se livrât à ce travail de critique, qui m’avait semblé, dès la publication du duc d’Elchingen, une des nécessités de notre époque. Dans mon trop d’impatience, j’en avais même ébauché quelques points dès 1844. Je comptais d’ailleurs sur la clairvoyance de M. Thiers pour satisfaire ce besoin de vérité que tous les récits de Waterloo avaient excité en moi sans y répondre. Ayant ouï dire, à tort, que M. Thiers ne traiterait pas de la campagne de 1815, je désespérais presque de voir, de mon vivant, cette restauration attendue de l’histoire militaire des cent jours, lorsque je sus qu’un homme parfaitement compétent et préparé, M. le colonel Charras, avait pris cette tâche. Il me semble l’avoir remplie avec la vigueur d’esprit nécessaire en pareille matière.

Pour cela, il fallait des conditions qui se rencontrent rarement, car on ne trouve point ici, pour se guider, l’immense correspondance de Napoléon qui, en d’autres époques, vous conduit presque à coup sûr. Au milieu de cette mêlée de plaintes, d’accusations, de justifications entre Napoléon et ses lieutenans, entre les apologistes de Ney et Gourgaud, entre Grouchy et Gérard, entre les Anglais et leurs alliés qui se disputent leur part de victoire, comme les autres se renvoient leur part de défaite, le discernement militaire est presque aussi nécessaire que sur le champ de bataille. Il fallait donc un écrivain qui eût passé une partie de sa vie dans les camps, à l’école de nos meilleurs généraux. Officier en Afrique depuis 1841, chef des affaires arabes après s’être distingué dans le combat de Djida et dans la belle opération qui réduisit le califat Sidi-Embarek, l’auteur remplissait la première de ces conditions. Elle ne suffisait pas ; il devait en outre avoir manié les ressorts de l’administration d’une grande armée. Les circonstances avaient aussi donné cet avantage à l’auteur, qui, en qualité de sous-secrétaire d’état, avait contribué à mettre l’armée sur le pied de guerre et à la préparer à tout événement. Après avoir aperçu la vérité, il s’agissait d’oser la dire. Pour cela, il était nécessaire que l’amour de la vérité et de la France l’emportât sur toutes les considérations ordinaires de complaisance, de routine ou de vanité. Enfin, et par-dessus tout, il fallait être libre d’idolâtrie envers Napoléon. À chacun de ces points de vue, l’histoire critique de la campagne de 1815 ne pouvait tomber en de meilleures mains que celles de M. le colonel Charras.

J’ai entendu faire deux objections à son ouvrage. La première est