Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/791

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
789
LA QUESTION ROMAINE.

pauté avait en quelque sorte codifié, en les exagérant, les attributions que la force de l’opinion lui avait prêtées. Après avoir pratiqué une puissance morale illimitée, dont la légitimité dépend des circonstances et n’a pour sanction que l’adhésion de ceux sur qui cette puissance est exercée, les papes avaient voulu la formuler en droits écrits. De là ces constitutions, ces canons, ces décrétales, telles que les fausses décrétales d’Isidore, la collection du moine Gratien, celle de Saint-Raymond de Pennafort, les décrétales de Clément V, publiées en 1317 par Jean XXII, qui érigeaient la catholicité en une théocratie dont le pape était le chef. Une fois écrites, ces prétentions exorbitantes ne pouvaient plus être oubliées ni tout à fait abdiquées, et devaient devenir une cause incessante de conflits entre les papes et les souverains et les peuples ; mais cette théocratie s’affirmait au moment où les nouvelles conditions politiques de l’Europe allaient lui enlever sa puissance. En même temps que l’unité du moyen âge se brisait, la papauté elle-même se déchirait. Les nouveaux gouvernemens qui s’élevaient, les nations qui s’isolaient en se constituant, favorisaient les schismes. Ce fut l’époque des anti-papes. Quand, après de grands efforts et après le travail du dernier des conciles du moyen âge, la papauté recouvra l’unité, elle suivit le mouvement des autres souverainetés européennes : elle se créa une souveraineté temporelle, elle se fixa dans le cadre politique exclusif d’un système national, elle se fit italienne.

En devenant, au XVIe siècle, par l’intérêt de son principat politique, exclusivement italienne, la papauté perdait, au point de vue religieux, ce caractère d’universalité et de cosmopolitisme qui, au moyen âge, avait fait sa grandeur. Souveraineté temporelle, elle se soumettait aux chances des vicissitudes politiques, et c’était déjà un grand péril pour son autorité religieuse ; souveraineté temporelle fixée au sein des intérêts italiens, au cœur de la civilisation italienne, elle se liait aux destinées de l’Italie et s’exposait à un double péril, soit qu’elle s’abandonnât aux tendances d’une civilisation si originale et si exclusive, soit qu’un jour elle s’exposât à les contrarier et à soulever contre elle l’antipathie du peuple au milieu duquel elle occupait une si grande place. Et dans les deux cas c’était son autorité religieuse, son apostolat sacré, sa mission la plus haute, qu’elle compromettrait inévitablement dans les accidens de son pouvoir politique.

Les maux que cette nouvelle forme de la papauté devaient causer au catholicisme et à l’église éclatèrent tout de suite. L’époque où la papauté devint exclusivement italienne fut justement celle où la corruption morale avait empoisonné la magnifique et séduisante civilisation de l’Italie. Jamais la floraison de l’art n’avait été plus ex-