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dans leur situation personnelle n’affaiblissaient point le pouvoir moral qu’ils exerçaient jusqu’aux dernières limites de la chrétienté. L’affection, le respect des peuples redoublaient plutôt pour ces apôtres persécutés de la justice et de la vertu, et, en traversant la foi et la reconnaissance des masses, leur faiblesse matérielle était un ressort ajouté à leur puissance morale. Un trait éminent de la papauté dans ces temps orageux et féconds, c’est qu’elle ne portait l’attache d’aucune nationalité distincte, qu’elle ne pouvait avoir de prédilection intéressée pour aucun peuple et pour aucune forme de gouvernement, qu’elle participait elle-même à cette unité qu’elle contribuait à donner à la civilisation du moyen âge, qu’elle était essentiellement cosmopolite. Elle s’appuyait d’ailleurs sur les conciles ; ceux-ci, formés d’élémens pris chez tous les peuples, ne donnaient pas seulement à l’église une représentation unitaire : par leur composition, ils mettaient l’église à l’abri de la prédominance d’une nation sur les autres et la préservaient d’une grande cause de corruption et de ruine. Une nation, en effet, a une civilisation et des destinées déterminées ; après des périodes de vie et de splendeur, elle a des périodes de décadence et de dissolution. La papauté n’étant point enfermée dans le cadre d’un système politique national, les conciles étant la représentation de tous les peuples chrétiens, l’église échappait à la contagion des maux qui pouvaient atteindre telle ou telle société particulière. La corruption ne peut gagner à la fois toutes les civilisations et tous les peuples ; avec la représentation catholique de l’église au moyen cage, les élémens vicieux fournis par une nation démoralisée venaient donc s’atténuer et se fondre dans la sève vivace des nations saines. Les institutions chrétiennes ainsi pratiquées assuraient à l’église, même au point de vue humain, le caractère d’indéfectibilité que son dogme lui attribue. Voilà où furent, aux beaux jours du moyen âge, les conditions de vitalité de la papauté et de l’église.

Si imparfaite, si grossière qu’elle eût été, la civilisation du moyen âge eut sa décadence. La liberté barbare des temps féodaux avait donné une sorte de civilisation uniforme aux divers peuples de l’Europe. Cette uniformité disparut. Chaque peuple, à travers une nouvelle barbarie qui dura du XIVe siècle jusqu’à la renaissance, tendit non-seulement à se constituer dans ses limites, mais à développer isolément sa civilisation propre et originale. Après l’épanouissement, après l’unité mobile et variée du moyen âge, ce fut une nouvelle ère de confusion, de souffrances et de tristesse que ce mouvement où chaque peuple s’efforça péniblement et obscurément de trouver et de creuser sa voie séparée. L’église subit, elle aussi, l’influence de cette malheureuse époque. Déjà, sur la fin du moyen âge, la pa-