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mais des administrateurs et des publicistes intelligens chargés de veiller sur leur sort. Peut-être leurs espérances ont-elles été trop loin dans le premier moment, peut-être ont-ils trop cru au pouvoir ou à l’union de l’Europe; de là leurs désappointemens quand ils ont vu nos troupes évacuer la Syrie et la commission internationale perdre ou abdiquer peu à peu son pouvoir. Il ne faut pas cependant que ce désappointement leur fasse oublier ce qu’ils étaient quand nos troupes et la commission internationale sont arrivées ; ils ont eu l’attention et la sollicitude de l’Europe pendant près d’un an, et cette attention, qui a été leur sauvegarde, ils l’ont encore.

La commission internationale de Beyrouth n’a pas été seulement un secours, elle est un précédent. Depuis près de vingt-cinq ans, c’est l’Europe qui gouverne à Constantinople; mais elle ne gouverne que par influence et à l’aide d’intermédiaires. Ses diplomates sont puissans et écoutés; l’Europe cependant n’y a aucune autorité publique et reconnue. Lord Stratford a été tout-puissant à Constantinople, mais il n’avait pas d’autre titre que celui d’ambassadeur d’Angleterre. Il était tout par ses conseils, qui étaient des ordres; il n’était rien en droit. A Beyrouth, pour la première fois, il y a eu une autorité européenne, reconnue et publique, prenant part à l’administration d’une province turque, contrôlant les actes des fonctionnaires ottomans. Il est vrai que Fuad-Pacha, sur l’injonction venue de Constantinople, a fait tout ce qu’il a pu pour annuler la commission de Beyrouth après avoir semblé pendant quelque temps vouloir s’appuyer sur elle. Il a peu à peu détruit le pouvoir de la commission, mais il n’a pas détruit le précédent qu’a créé l’installation à Beyrouth de cette autorité européenne. A Dieu ne plaise que je souhaite à d’autres provinces de l’empire turc d’acheter aussi cher que l’a acheté la Syrie le privilège d’avoir dans son sein une autorité européenne! lais enfin, si le fanatisme musulman inonde encore de sang quelque province de la Turquie, soit en Europe, soit en Asie, l’Occident sait quelle voie il doit suivre pour obtenir la répression des massacres et la réparation des désastres. Il sait que le maintien de l’intégrité de l’empire ottoman comporte cependant des interventions salutaires, et que l’indépendance de la Porte-Ottomane ne va pas jusqu’au droit de laisser égorger impunément les chrétiens d’Orient, La sécurité des populations chrétiennes de l’empire ottoman est un des principes fondamentaux du traité de Paris, et ce principe, consacré par une première application en Syrie, fait dorénavant partie du droit public de l’Europe.


SAINT-MARC GIRARDIN.