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pas que Kourshid-Pacha, que le tribunal de Beyrouth n’a condamné qu’à la détention, soit condamné à mort sur les représentations de la commission internationale; mais il demande, « si la vie de Kourshid-Pacha a été épargnée, que sa détention au moins soit rigoureuse et non indulgente, que sa peine-soit une réalité, et non un masque destiné à couvrir une confiance récente et un avancement prochain[1]. »

Je reconnais dans cette lettre le style péremptoire du gouvernement anglais, qui ne ménage guère ceux même qu’il soutient, et dont le patronage est aussi dur qu’il est efficace. D’où vient donc qu’avec l’appui de cette volonté anglaise, la justice contre les officiers turcs n’a pas pu prévaloir à Beyrouth? Hélas! le gouvernement anglais, qui ne voulait pas que la Porte défendît contre la justice ses officiers et ses fonctionnaires, avait aussi ses protégés devant le tribunal de Beyrouth : c’étaient les Druses. Il était sévère pour les Turcs et indulgent pour les Druses. En cela, il croyait être juste, et il l’était jusqu’à un certain point, car il savait bien qu’en défendant les Druses, ce n’était pas contre la justice sincère, mais contre la politique et l’intrigue turques qu’il les défendait. Cependant, comme les Druses se réclamaient depuis longtemps déjà de la protection de l’Angleterre, comme ils faisaient en Syrie le parti anglais, lord Dufferin, en plaidant pour les Druses, semblait plaider pour l’intérêt anglais, et cela affaiblissait l’autorité de ses réclamations. Il fallait s’accorder dans la sévérité contre les Turcs et contre les Druses, c’était la vraie justice, ou bien s’accorder dans l’indulgence pour les uns et pour les autres, c’eût été la vraie iniquité. L’Angleterre ne voulait ni cette vraie iniquité ni cette vraie justice.

Il y avait, par exemple, un cheik druse, Saïd-bey-Djumblat, qui était le protégé et le partisan déclaré de l’Angleterre. Il avait pris part aux massacres par sa connivence, et comme il était fort riche et fort puissant, qu’il excitait la jalousie de la Porte et la convoitise de ses fonctionnaires, qu’il y avait là tout ensemble une influence à détruire et une grande confiscation à faire, le tribunal de Beyrouth l’avait condamné à mort. Lord Dufferin avait souvent défendu Saïd-bey-Djumbb.t dans la commission internationale, sans, ce me semble, avoir pu convaincre ses collègues d’autre chose, sinon que Saïd-bey-Djnmblat n’était pas plus coupable que beaucoup d’officiers turcs acquittés par le tribunal de Beyrouth. Lord Dufferin ne l’abandonna pas une fois condamné à mort, le ministère anglais non plus, et il y a dans le blue-book deux dépêches de lord John Russell : l’une à lord Dufferin pour lui prescrire « d’insister auprès de Fuad-Pacha afin que Saïd-bey-Djumblat ne soit pas {{Tiret|exé|cuté, »

  1. Lettre de lord John Russell à lord Dufferin, p. 462, n° 366.