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évêque de Troyes, et M. de Clermont-Tonnerre, évêque-comte de Châlons, parent de ce célèbre évêque de Noyon sous Louis XIV qui n’appelait le pape que Monsieur de Rome, et mort lui-même en 1830 archevêque de Toulouse et cardinal, après avoir rappelé dans une occasion bien connue la fière devise de sa famille : Etiamsi omnes, ego non. Le quatrième prélat de la province, M. de La Luzerne, évêque-duc de Langres, ne figurait pas parmi les membres de l’assemblée ; il n’avait pas voulu sans doute accepter la présidence de l’archevêque de Reims, dont il se prétendait l’égal par l’ancienneté de son siège.

Après les évêques venaient les abbés des deux plus grands monastères de la Champagne, l’abbaye de Clairvaux, fondée par saint Bernard dans la vallée de l’Aube, une des plus riches et des plus magnifiques de France, et celle de Morimond en Bassigny, un peu moins célèbre, mais dont dépendaient les cinq ordres de chevalerie de l’Espagne. Toutes deux, étant en règle, avaient pour abbés de véritables moines. Puis siégeaient deux jeunes abbés commendataires, destinés tous deux à jouer un grand rôle politique. L’un, neveu de l’archevêque, qu’on appelait alors l’abbé de Périgord et qui devait s’appeler un jour le prince de Talleyrand, n’était encore, quoiqu’il eût plus de trente ans, qu’abbé de Saint-Denis, dans le diocèse de Reims, et ne devait être promu au siège d’Autun que l’année suivante. Rien n’annonçait la future grandeur de ce personnage équivoque et mécontent, fait prêtre malgré lui, parce qu’une chute l’avait rendu infirme, froidement spirituel, novateur hardi, railleur, hautain, paradoxal, ambitieux profond et prêt à tout, qui avait voulu, par amour de l’effet, se faire présenter publiquement à Voltaire, et qui, agent général du clergé pendant la guerre d’Amérique, avait eu la singulière fantaisie d’armer à ses frais un corsaire contre les Anglais. L’autre, M. de Montesquiou-Fezensac, abbé de Beaulieu dans le diocèse de Langres, avait succédé à l’abbé de Périgord comme agent général du clergé, et devait bientôt entrer avec lui à l’assemblée nationale ; homme d’esprit aussi, instruit, éclairé, sans préjugés, mais moins amer et moins inquiet, d’un caractère bien autrement sincère et désintéressé, d’une éloquence douce et persuasive, qui, après avoir tenté vainement en 1789 la conciliation de l’ancien et du nouveau régime, a été en 1814 un des principaux auteurs de la charte, et qui, ayant occupé les plus hauts emplois, est mort dans une modeste retraite.

Les deux ordres de la noblesse et du tiers-état n’offraient pas de noms aussi éclatans. Le comte de Brienne, frère du premier ministre, fit un moment partie de l’assemblée ; mais, appelé presque aussitôt au ministère de la guerre, il fut remplacé par son fils, le vicomte