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pour se les assimiler les principes azotés et les phosphatés qu’il leur avait donnés comme nourriture. En même temps ils s’emparaient d’une partie de la matière sucrée qu’ils élaboraient pour la transformer en cellulose et en graisse.

Il ne faut donc point douter de la nature du ferment de bière. C’est un composé d’êtres bien éloignés de ceux que nous considérons habituellement, mais ayant, comme tous les êtres, ce principe inconnu qui les fait naître, se développer et se reproduire, et dès lors nous devons nous attendre à les voir pendant toute leur existence accomplir des actions chimiques continues. Les animaux qui vivent dans l’air absorbent l’oxygène, lequel brûle une partie de leur substance et passe à l’état d’acide carbonique. Quel acte chimique analogue trouverons-nous dans l’exercice des fonctions vitales du ferment ? La réponse à cette question n’est point aujourd’hui douteuse ; la voici : le ferment décompose le sucre en acide carbonique qui se dégage et en alcool qui reste. Si l’oxygène est abondant et si l’air se renouvelle au contact du ferment, celui-ci se développe sans décomposer le sucre : dans le cas contraire, c’est le sucre qui fournit l’oxygène pour la respiration du petit être organisé, et l’alcool se produit en grande quantité.

Telle est la fonction accomplie par le ferment contenu dans la levure de bière ; mais qu’arriverait-il si, en conservant le même milieu, c’est-à-dire le sucre, on remplaçait les êtres qui l’ont transformé en acide carbonique et en alcool par d’autres espèces ? M. Pasteur a répondu par des expériences tout aussi concluantes, et qui vont singulièrement agrandir le cadre de la question.

On sait depuis longtemps que ce même sucre, mêlé à quelques matières azotées, telles que le gluten, le caséum, etc., éprouve une fermentation toute différente, appelée fermentation lactique, parce qu’elle développe l’acide de ce nom. Or on trouve dans ce cas que la liqueur est encore habitée par un monde d’êtres qui vivent comme les précédens, se développent et se multiplient comme eux, mais qui, n’étant pas les mêmes, transforment le sucre en des produits nouveaux. Les conditions d’existence et de reproduction sont identiques ; mais l’espèce est différente, et les transformations qui résultent de ces nouvelles existences ne sont plus les mêmes.

Une fois lancée dans cette voie si féconde, l’imagination se trouve en présence des problèmes les plus importans, et la solution en est prochaine. Quand on voit toutes les fermentations qui se développent spontanément dans la plupart des liquides qui proviennent de l’organisme, on ne peut s’empêcher d’admettre qu’elles sont les produits de la vie de certains êtres analogues à ceux qui déterminent la fermentation du sucre, et probablement c’est à ces êtres qu’il faut attribuer la plupart des maladies contagieuses.