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l’Oural. En général, tous ces steppes mériteraient presque le nom de désert : ils ne comprennent point de magnifiques prairies comme les steppes du Dnieper et du Don, et leurs pâturages occupent une zone très limitée, à une assez grande distance au nord du rivage actuel de la mer. Quand les sauterelles s’y abattent, ce qui arrive assez fréquemment, il n’y reste pas une herbe, et les roseaux des marécages sont rongés jusqu’au niveau même de l’eau.

On sait combien est sinistre d’aspect la surface des steppes au milieu de l’hiver, alors que tout est caché sous la neige et que le vent glacial soulève cette blanche mer en flots et en tourbillons ; mais, dans la saison la plus joyeuse de l’année, l’immense étendue de sable blanc et d’argile rougeâtre, où croissent çà et là des armoises et des euphorbes aux feuilles de teintes sombres, offre aussi un aspect effrayant. Le terrain que l’on traverse en char au grand galop des chevaux apparaît comme une nappe couleur de feu rayée de longues lignes grises. De distance en distance, on traverse péniblement un ravin creusé dans le sol par les eaux torrentielles des orages, puis on contourne quelque marécage aux eaux blanchâtres et floconneuses entrevues à travers une forêt de roseaux. Dans le lointain, une lisière de salicornes rouges de sang révèle une mare saline, et tout à fait à l’extrême horizon des nuages pesans, étages en longues assises, indiquent le rivage de la mer. Le sol répercute une intolérable chaleur. En même temps la brise, attirée comme par un foyer d’appel sur la surface brûlante des steppes, soulève devant elle des tourbillons de poussière ; à côté du char, on voit des débris de plantes desséchées bondir étrangement par milliers et par millions ; roulés en boules par le vent, ces coureurs des steppes luttent de vitesse en rasant la terre, et se pourchassent furieusement en faisant des sauts de plusieurs mètres : on dirait des êtres vivans entraînés dans quelque course démoniaque. À la fin de chaque étape, on s’arrête un instant devant une misérable cabane à demi enterrée dans le sable. On entrevoit une figure humaine aux yeux hagards, aux cheveux en désordre, puis on repart comme un trait pour s’enfoncer de nouveau dans le désert. Rarement on distingue dans le lointain les kibitkas de feutre des Kalmouks ou des Kirghizes ; souvent on parcourt des centaines de lieues sans voir d’autres traces du passage de l’homme que les ornières laissées par les roues dans l’argile durcie.

La plus grande largeur du steppe caspien, de Kamychin sur le Volga à Gouriev, près de l’embouchure de l’Oural, dépasse 600 kilomètres. La pente de la plaine, qui est de 25 mètres seulement pour cette énorme distance, se continue au-dessous de la surface des eaux d’une manière à peine plus sensible : on pourrait s’a-