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galeries du palais. En face d’Arcadius, accouru à ces cris, Eudoxie resta longtemps sans proférer une parole, puis, en mots entrecoupés et la fureur dans les yeux, elle lui apprit l’outrage qu’elle avait reçu de son esclave. Cette scène était trop violente pour le faible Arcadius. Il fit venir Eutrope à l’instant, et en présence de l’impératrice il le cassa de sa charge, déclara qu’il lui retirait tous ses biens, et lui ordonna de quitter aussitôt le palais, sous peine de la vie. Les serviteurs des appartemens impériaux et les chefs des gardes, attirés par le bruit, purent assister à la dégradation du tout-puissant ministre. Eudoxie commanda de le suivre et de mettre sur lui la main, coûte que coûte. Redevenue calme par la satisfaction de la vengeance, elle prit pour la circonstance les dispositions que son mari était hors d’état de régler, et son regard impérieux fit comprendre à tout le monde qu’elle régnait désormais dans le palais.

Eutrope ne s’y était pas trompé, et il sentit qu’il était perdu. Il traversa précipitamment ces vastes salles et ces portiques où le matin encore il recevait plus d’adorations que son maître, et où maintenant les mêmes courtisans, empressés de le fuir, lui ouvraient leurs rangs, comme à un pestiféré. Sorti du palais par une porte secrète, la tête troublée, ne sachant que devenir, il courut se réfugier à l’église métropolitaine, qui était assez voisine du palais, y cherchant un asile, et oubliant que lui-même avait aboli l’immunité ecclésiastique pour les criminels de lèse-majesté. Avant de franchir le seuil, il se baissa vers le pavé, et, prenant une poignée de poussière, il s’en souilla les cheveux et le front, comme pour mieux exciter la pitié. Voyant qu’on le suivait du côté de l’église, il marcha hardiment au sanctuaire, entr’ouvrit le voile qui séparait le saint des saints des parties de la basilique réservées aux fidèles, et, embrassant une des colonnes qui soutenaient la table du sacrifice, il attendit dans cette attitude suppliante l’arrivée de l’évêque. Cependant le voile était retombé, mais il entendait les pas pressés de la foule qui se répandait dans les nefs, et bientôt un bruit d’armes et des voix menaçantes l’avertirent que des soldats étaient à sa recherche. L’évêque ne tarda pas à paraître, environné de son clergé. A la vue de ce suppliant qu’il n’attendait pas, il ressentit un mouvement non de satisfaction pour lui-même, mais d’orgueil pour son ministère. Il rassura le fugitif par quelques paroles, lui recommandant d’avoir bon courage, et comme dans le cortège des clercs quelques-uns murmuraient de ce qu’un misérable tel qu’Eutrope pouvait être enlevé à son juste châtiment : « Quoi donc ! interrompit l’évêque, ne comprenez-vous pas la gloire de l’église, qui voit son persécuteur reconnaître ses droits et implorer sa miséricorde ? »

Tandis que ces choses se passaient en dedans du voile, les sol-