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la nouvelle n’avait pas été mieux reçue qu’à Rome, et pour des raisons plus personnelles, car c’était vis-à-vis d’eux une raillerie amère et un défi ; Stilicon et Honorius étaient déjà convenus de ne point reconnaître Eutrope en Occident. Au moment où les députés de Rome arrivèrent au palais, l’empereur donnait audience à des Germains venus des bords du Rhin au nom de leurs peuplades pour renouer avec l’empire l’alliance un moment ébranlée. Haut de taille et d’un port assez majestueux, le fils de Théodose répondait avec assez d’à-propos à ces fils de la Germanie, ambassadeurs au manteau de peaux de bêtes, aux longues moustaches rousses, à la chevelure liée sur le sommet de la tête ou retombant en anneaux sur leurs épaules. Aux uns il imposait des rois, à d’autres il demandait des otages en garantie de leurs promesses ; quelques-uns recevaient l’ordre d’en— voyer des contingens à l’armée romaine, et le Sicambre, mêlé aux légions, devait raser cette épaisse crinière qui distinguait les fédérés servant comme troupes barbares de ceux qui combattaient sous les aigles. En assistant à cette revue, pâle image des temps où Rome était puissante et révérée dans le monde, les députés du Capitole se sentirent émus et eurent peine à retenir leurs larmes.

Ce qui se dit entre eux et l’empereur, ou plutôt entre eux et le vrai souverain, Stilicon, nous ne le savons que par la bouche d’un poète ; mais celui-ci n’était pas un vulgaire versificateur chantant les grands par ouï-dire et n’apercevant que de loin les lambris de la cour. Claudien, tribun d’une légion par la faveur de Stilicon, assistait peut-être à cette audience ; en tout cas, il put la connaître dès le jour même par le récit de son protecteur. Quoi qu’il en soit, il nous en fait, suivant l’habitude des poètes, une narration allégorique, où la déesse Rome représente la députation de la ville éternelle et adresse à l’empereur un discours, celui sans doute que lui tinrent les envoyés. C’est du moins le genre d’argumens, c’est la suite des idées que l’orateur du sénat et du peuple de Rome put exposer au jeune homme qui tenait en ses mains, sinon la destinée, du moins la dignité du consulat.

Puisant son exorde dans le spectacle inattendu qui venait de frapper ses regards, l’orateur (on peut supposer que c’était lui) récapitula les gloires de Théodose et d’Honorius : le Saxon défait sur l’Océan, la Bretagne délivrée des attaques du Picte, la Gaule vengée des menaces de la Germanie. « Par toi, prince, ajouta-t-il, Rome voit à ses pieds le Frank humilié, le Suève abattu, et le Rhin, soumis à ta loi, te salue du nom de Germanique… Mais, hélas ! l’Orient, cette terre vouée à la discorde, envie nos prospérités. De l’autre côté du soleil fermentent d’abominables complots qui tendent à nous désunir, à empêcher que l’empire tout entier ne forme un seul corps. » Alors vient l’énumération de toutes les insultes faites à