Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/53

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en nature ; ailleurs une multitude de circonstances invitent à la convertir en contribution pécuniaire. Ici la gabelle est supportable, là les troupeaux qui composent la fortune des habitans font de la cherté du sel un véritable fléau. Ici tous les revenus sont en fonds de terre, et l’on peut confondre la capitation avec la taille ou les vingtièmes ; ailleurs de grandes richesses mobilières et l’inégalité de leur distribution invitent à séparer ces divers impôts. « Ici l’impôt territorial peut être fixe et immuable ; là tout est vignobles et tellement soumis à des révolutions que, si l’impôt n’est pas un peu flexible, il sera trop rigoureux. Ici les impôts sur les consommations sont préférables, ailleurs le voisinage de l’étranger les rend illusoires et difficiles à maintenir. Enfin partout, en même temps que la raison commande, l’habitude et le préjugé font résistance. C’est l’impossibilité de pourvoir à toutes ces diversités par des lois générales qui oblige d’y suppléer par l’administration la plus compliquée. »

Au premier rang des impôts que Necker voulait réformer se trouvait la corvée pour les chemins. L’origine des corvées était féodale, ce qui ne contribuait pas peu à les faire détester. On appelait ainsi à l’origine les journées de travail forcé que les paysans devaient à leurs seigneurs ; l’administration royale avait adopté ce moyen commode de faire exécuter les grands travaux. Réduit à des limites raisonnables et déterminées d’avance, exclusivement consacré à un intérêt local, comme le sont aujourd’hui les prestations en nature, c’était un impôt comme un autre, et même plus facile à acquitter qu’un autre ; mais il en avait été fait sous Louis XIV le plus effroyable abus. À tout instant, les paysans corvéables étaient requis arbitrairement pour des travaux lointains et pénibles ; hommes et bestiaux périssaient à la peine. Ces abus avaient diminué pendant le XVIIIe siècle ; la corvée n’en restait pas moins en usage pour les travaux des chemins, et les économistes se montraient unanimes pour la condamner. Tant que M. Trudaine avait été directeur des ponts et chaussées, il n’avait cessé d’en demander l’abolition. Un des premiers actes de Turgot avait été de l’abolir en 1775 et de la remplacer par une contribution en argent ; la réaction contre ce ministre avait détruit cette partie de son œuvre, et l’édit qui abolissait les corvées avait été abrogé avant de recevoir son exécution.

L’administration provinciale du Berri fit bientôt voir qu’en abandonnant ces sortes de réformes aux soins d’une assemblée de propriétaires, ce qui avait paru impraticable par une loi générale pouvait s’exécuter partiellement sans réclamation. Dès les premières réunions de l’assemblée, on examina avec soin l’étendue des sacrifices qu’exigeait la corvée pour les chemins, telle qu’elle était organisée. On trouva qu’en la remplaçant par un impôt en argent on obtiendrait