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même à chaque relais. Les courtes explications que put recevoir Chrysostome pendant le trajet augmentèrent sa stupéfaction. Réfléchissant ensuite aux étranges moyens employés pour son élévation au premier siège de l’Orient, il crut voir dans cet événement la main de la Providence et se résigna. C’est de cette façon, et plutôt en criminel d’état qu’en évêque, que le futur chef du diocèse de Constantinople vint prendre possession de sa métropole.

Ce coup de théâtre fit sur le troupeau des prétendans l’effet de la foudre. Le peuple, qui connaissait la renommée de Jean d’Antioche, applaudit avec transport à cette idée de l’eunuque ; mais les évêques se trouvèrent indignement offensés. Non contens de se plaindre et de verser sur l’intrus toute leur malignité, ils protestèrent contre l’empereur lui-même au nom de la liberté électorale, et Théophile déclara tout haut qu’il n’ordonnerait pas Chrysostome. « Vous l’ordonnerez, » lui dit l’eunuque, et, le prenant à part, il lui montra des papiers devant lesquels l’évêque d’Alexandrie pâlit. Eutrope s’était procuré sous main des lettres qui compromettaient Théophile pour des choses que nous ne connaissons pas ; il en avait d’autres aussi où l’affaire du prêtre Isidore était expliquée de point en point. La communication fut telle, à ce qu’il parait, et accompagnée de tels avertissemens, que non-seulement Théophile retira sa menace de refus, mais qu’il ordonna lui-même Jean Chrysostome, dont l’intronisation eut lieu le 2 février 398, en présence d’une foule de peuple innombrable.

Alors commença cette administration épiscopale si orageuse, qui devait avoir pour péripéties deux exils, des conciles pleins de scandale, une émeute populaire et l’embrasement de la moitié de Constantinople par les partisans mêmes de l’évêque. Avec un si grand savoir, un génie incomparable et des mœurs qu’on ne put jamaisnoircir, Chrysostome manquait de la première des vertus pastorales, l’amour de la paix : aussi sa vie, constamment tourmentée, fut la justification du mot profond de l’Évangile : « heureux les pacifiques ! » Ces réflexions l’avaient sans doute frappé durant sa retraite au mont Cassius, quand seul, vis-à-vis de sa conscience et encore étranger aux enivremens de la célébrité, il avait repoussé l’épiscopat. Les circonstances actuelles, en exaltant chez lui le sentiment de sa valeur, firent taire ses anciens scrupules, et l’aventure étrange de son élévation le persuada aisément que Dieu le jugeait propre à un état qu’il lui laissait imposer par la force. A tout prendre, Jean d’Antioche n’était point né pour le gouvernement des hommes : il lui fallait l’isolement pour rester lui-même. Dans la méditation solitaire, sa bonne et vraie passion, résidait aussi sa force ; elle avait purifié son cœur, agrandi son esprit, placé ses désirs