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amis, à la justice paternelle envers son clergé, n’avaient au fond d’autre motif que son intérêt, et la protection parfois bruyante dont il couvrait les autres n’était qu’une manœuvre pour les enchaîner sous lui ou les désarmer. Dans la circonstance présente, Théophile voulait s’emparer de l’élection, non afin d’en profiter lui-même, soit qu’il ne l’osât pas, soit qu’il se contentât du siège d’Alexandrie, qui était canoniquement la première parmi les églises orientales ; mais il demandait le siège vacant pour un de ses prêtres, et ce par des raisons que nous ferons connaître tout à l’heure. Grâce à son influence, la plupart des évêques s’engagèrent dans cette candidature ; les autres réservèrent leur liberté, désireux de sonder le terrain dans leur intérêt et de courir au besoin les chances d’une compétition.

A côté de cette cabale de prélats étrangers, une autre s’était formée dans le clergé même de Constantinople, résolu à ne point céder la place. Qui donc en effet pouvait revendiquer la légitime possession de ce grand siège, sinon ceux qui, sous Grégoire de Nazianze et Nectaire, en avaient étudié les besoins et supporté les rudes labeurs ? Ainsi s’exprimaient avec une apparente raison les prêtres et les diacres de l’église métropolitaine. Des brigues contraires entrèrent donc en lutte, et la ville ne présenta plus qu’un spectacle d’agitation ardente et de disputes. Dès l’aube du jour, les portiques des temples, les places, les lieux de réunion et de promenades étaient occupés par les candidats et leurs amis, discourant, prêchant, travaillant à séduire le peuple, qui, avec le clergé et les honorés[1], devait prendre part à l’élection. On ne négligeait aucune des honteuses manœuvres ordinaires aux candidatures électorales, promesses, grossières flatteries, basses supplications à la populace, éloge de soi et des siens, dénigrement de ses rivaux. La brigue près des honorés se faisait avec un peu plus de pudeur ; on allait frapper humblement aux portes des gens en crédit, on se glissait chez eux à l’aide de présens destinés à faciliter les audiences ou à corrompre les gardiens : l’un offrait quelque rareté d’Égypte ou quelque statue de la Grèce, l’autre apportait de la soie de l’Inde ou des parfums de l’Arabie ; des sommes d’argent furent même distribuées. Heureux qui pouvait se procurer l’appui d’une noble matrone ou le patronage d’un officier du palais ! Tant de compétitions se formèrent, tant de factions se combattirent, qu’il fut impossible de procéder à l’élection pendant quatre mois entiers. Sans atteindre à la gravité des désordres de Rome lors de la promotion du pape Damase, quand les électeurs, après une bataille rangée, laissèrent cent trente-sept

  1. Honorati : on appelait ainsi la classe des hommes qui avaient traversé les hautes fonctions publiques.