Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/489

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

donné notamment pour confesseur à la duchesse de Bourgogne un homme à lui, un jésuite, le père La Rue. Lorsque celui-ci s’approcha de la princesse et l’interrogea, elle le regarda, lui dit qu’elle l’entendait, et se tut. Le père La Rue renouvela ses questions sans obtenir aucune réponse, La princesse craignait de l’affliger, et en même temps elle ne voulait pas se confesser à lui. Se défiait-elle de sa discrétion ? Avait-elle à révéler en ce suprême moment quelques-unes de ces choses intimes qu’elle n’avait point avouées jusque-là dans ses confessions ordinaires ? Le père La Rue sentit cet embarras et eut l’esprit de le respecter. Il se borna à lui demander qui elle désirait appeler, et elle désigna un prêtre de la paroisse de Versailles, M. Bailly, qui n’était pas net du soupçon de jansénisme, au dire de Saint-Simon. M. Bailly ne se trouva pas là, et ce fut un récollet, le père Noël, qui fut appelé. Ce changement de confesseur à la dernière heure fit éclat à la cour et éveilla tous les commentaires. Le roi lui-même fut plein de surprise, et n’eut peut-être des soupçons qu’à ce moment. La pauvre princesse, en refusant de se confesser au père La Rue, s’était peut-être confessée à tout le monde. Elle n’avait plus d’ailleurs que quelques heures à vivre : le lendemain, 12 février, elle expirait entourée de Mme de Maintenon et du roi, qui pleuraient en voyant leur échapper cette créature charmante, quoique ni l’un ni l’autre ne fussent extrêmement tendres. Et le deuil de la royauté ne s’arrêtait pas là : sous le coup même d’une douleur qui était chez lui aussi sincère que profonde, le dauphin à son tour était pris d’un mal mystérieux qui l’abattait en quelques jours. Le 18 février, il était mort. « Avec la dauphine, dit Saint-Simon, s’éclipsèrent joie, plaisirs, amusemens même, et toutes espèces de grâces ; les ténèbres couvrirent toute la surface de la cour ; elle la remplissait tout entière, elle y animait tout, elle en pénétrait tout l’intérieur. Si la cour subsista après elle, ce ne fut plus que pour languir… » Avec le duc de Bourgogne s’évanouissait l’espoir d’un règne sérieux, qui eut pu relever la royauté et la rajeunir peut-être.

Tout s’en allait d’ailleurs. Ce n’était plus le temps du bonheur pour Louis XIV, qui restait presque comme le dernier et l’unique demeurant de son siècle, voyant tout changé autour de lui, ses grands hommes disparus, ses héritiers les plus directs prématurément enlevés, ses dernières joies évanouies, toutes ses combinaisons déjouées par une sorte de fatalité. À quoi lui servait tout ce qu’il avait vu passer sous ses yeux, tout ce qu’il avait tenté ? Il avait eu Bossuet pour élever son fils ; Bossuet n’avait pu faire de ce fils un homme, et le premier dauphin était mort sans régner. Il avait eu Fénelon pour élever son petit-fils ; Fénelon avait mieux réussi,