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interdiction à la reine d’Espagne sous peine de la perte de son appui, elle ne s’appliqua jamais à le définir. L’alliance, de l’aveu de tous, la plus sortable pour la jeune souveraine, comme la plus propre à garantir son bonheur domestique, ne convenait point à l’Angleterre : tel était le seul argument produit en son nom avant l’événement. Jamais le pro ratione voluntas n’a été plus laconiquement-proclamé. Les vues du gouvernement français étaient, sinon aussi simples, du moins plus logiques et plus raisonnées. Depuis le premier jour jusqu’au dernier, rien ne lui eût mieux convenu, s’il avait formé quelque ambitieux projet, que d’accepter d’avance le choix librement fait, librement délibéré de l’Espagne, de son gouvernement, de sa jeune reine. Aussi, quand le 5 mars 1843 sir Robert Peel dit, dans le parlement, qu’il ne concevait point de restrictions à un pareil choix, dans de pareilles circonstances, nous empressâmes-nous de prendre acte de cette déclaration, bien promptement rétractée et modifiée par son plus sagace collègue. Je ne pense pas qu’aucun gouvernement français eût pu admettre explicitement la limite posée par l’Angleterre au libre choix de la reine d’Espagne. « Toute protestation doit se fonder sur un droit, dit M. Guizot dans le cours de la discussion ultérieure. On n’est point admis à protester contre un fait uniquement parce qu’il ne nous convient pas. » Mais derrière cette hautaine prétention il y avait évidemment un fait très grave pour la France, un péril très grand pour l’Espagne. Le roi Louis-Philippe avait la plus grande aversion pour tout ce qui eût pu compromettre la politique du pays au dehors dans une cause qui lui fût personnelle. Il avait de plus une répugnance invincible et spéciale à engager sa propre responsabilité dans les affaires intérieures de l’Espagne. Quand même la question ne se fût compliquée d’aucune jalousie étrangère, jamais il ne se fût volontairement prêté, avec la branche espagnole, à une alliance de famille dont le caractère eût été essentiellement politique. Il était d’autant plus libre de remplir strictement les devoirs de la royauté à l’égard des intérêts permanens de l’état. Sans entrer dans aucune comparaison de la puissance relative des deux nations, sans tenir le moindre compte des traditions du passé, il semble impossible à tout esprit sensé et impartial de ne point reconnaître, sur la simple inspection de la carte, que cet intérêt de la France dans les affaires de l’Espagne est plus direct et plus impérieux que ne saurait être celui de l’Angleterre. Que prescrivait-il surtout dans la question du mariage de la jeune reine ? Le simple statu quo, le simple maintien de la couronne dans la maison régnante. Cet intérêt convenait-il moins à l’Espagne, qui deux fois avait versé le plus pur de son sang pour les droits de la famille régnante, et à l’Angleterre, qui naguère avait