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même chef de condescendance excessive pour l’étranger. Les unes et les autres étaient acceptées, accréditées : pouvaient-elles être fondées de chaque côté ? Je m’en expliquai un jour avec M. Guizot. Je lui témoignai ma surprise qu’aucun des journaux qui défendaient sa politique ne fit jamais aucune allusion à cette contre-partie constante des inculpations qu’ils repoussaient. Il reconnut avec moi qu’un moyen semblable serait souvent fort efficace auprès de ses amis ; « mais, ajouta-t-il, jamais, en tant qu’il dépendra de moi, une feuille qui me soutiendra ne reproduira un seul mot hostile à lord Aberdeen. » C’est ainsi que se manifestait de part et d’autre la loyale amitié des deux ministres ; c’est ainsi que les idées et les pratiques de la paix s’emparaient si profondément du public, que nous avons été jusqu’à croire leur empire à jamais établi, tandis que les doctrines sagement libérales et constitutionnelles se propageaient lentement, mais d’autant plus sûrement dans toute l’Europe.

Cette intime et mutuelle confiance nous avait aussi permis, entre autres bienfaits, de conduire bien près d’une solution heureuse la question non pas la plus dangereuse, mais assurément la plus compliquée et la plus délicate de notre temps. En reconnaissant immédiatement le droit de succession au trône d’Espagne des deux jeunes princesses filles de Ferdinand VII, la France et l’Angleterre avaient incontestablement fait preuve d’une parfaite sagacité : là était la vraie légitimité, là étaient aussi les espérances les mieux fondées de la nation ; mais en s’acquittant de ce devoir, les deux gouvernemens s’étaient préparé pour l’avenir une immense difficulté. Qui épouserait les jeunes princesses successivement appelées au trône de cette antique monarchie ? Serait-il permis à l’Angleterre, serait-il possible à la France de rester indifférentes à leur choix ? Sous quelle forme, de quel droit pourraient-elles prétendre à l’influencer ? « Vous allez en Angleterre, disait le prince de Metternich au comte de Sainte-Aulaire quand il quitta l’ambassade de Vienne pour celle de Londres ; vous y allez pour maintenir la cordiale entente. Vous vous mettrez d’accord sur tout le reste ; vous ne vous mettrez jamais d’accord sur l’Espagne. » Nous fûmes bien près de démentir le sinistre pronostic au Nestor de la diplomatie ; mais en dernière analyse il eut raison contre nous.

Pour l’Angleterre, la question était bien simple : il s’agissait d’empêcher l’avènement au trône d’Espagne d’un prince français. Quels que dussent être l’inclination personnelle de la jeune reine, le désir de la reine sa mère et le vœu de la nation espagnole, le but constant de la Grande-Bretagne était de prévenir tout accroissement semblable d’influence pour sa rivale. Elle le poursuivit avec une ténacité et une rudesse intraitables. De quel droit elle posait cette