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ou laborieusement débattu entre eux durant cette controverse ardue de plus de cinq semaines. J’en pourrais citer plus d’un qui étonnerait les esprits peu initiés aux minuties de la procédure internationale, qui a bien aussi ses Pancrace et ses Marphurius. Nous parvînmes pourtant à terminer en paix ce misérable conflit, à la grande satisfaction de tous les gens sensés de chaque côté du détroit comme des deux ministres sur qui devait porter, fort inégalement plus tard, le poids de la discussion parlementaire.


« J’ai l’âme en repos (m’écrivait M. Guizot le 9 septembre 1844). À dire vrai, j’ai toujours espéré ce résultat. Je voyais bien que nous rasions le bord du précipice ; mais ma raison ne pouvait admettre que deux hommes droits et sensés ; comme lord Aberdeen et moi, s’y laissassent tomber avec tout ce qu’ils portaient. Je voudrais que lord Aberdeen sût quelle confiance vraiment intime et affectueuse s’est enracinée en moi pour lui dans cette épreuve, qui n’est pas la première par laquelle nous passions ensemble, et ne sera pas la dernière… »


Les nations ne tiennent pas grand compte à ceux qui les gouvernent des malheurs dont ils les préservent. Que l’on estime pourtant de bonne foi ce qui serait arrivé, si la question de Taïti avait fini comme s’est terminée dix ans plus tard la question, moins grave à son origine, des lieux saints en Orient. On ne contestera guère dès lors la reconnaissance due aux deux souverains et aux deux ministres qui sauvèrent pour cette fois la paix européenne si gravement compromise.

En 1845, le ministère de sir Robert Peel fut profondément ébranlé. Les causes de sa retraite, temporaire d’abord, mais bientôt devenue définitive, sont suffisamment connues. Personnellement lord Aberdeen avait été converti, longtemps avant le premier ministre, aux doctrines du libre-échange, surtout en matière de céréales. Aussi fut-il dès l’abord de cette faible minorité du conseil qui entreprit de répudier de la façon la plus brusque et la plus absolue une législation dont le principe formait le lien du parti alors au pouvoir, comme il lui avait fourni son cri de ralliement, de l’aveu de tous ses chefs, durant les dernières élections. Quant au fond de la question, le temps a donné grandement raison aux vues incontestablement éclairées et patriotiques de sir Robert Peel et de ses adhérens ; quant à la forme, aux circonstances, à la conduite, on a peine aujourd’hui même à reconnaître qu’ils aient fait preuve de leur habileté ordinaire. On aurait compris qu’aux approches d’une redoutable famine le chef du parti conservateur eût suspendu sur-le-champ, à l’instar du sage gouvernement de la Belgique, toute sorte de droits protecteurs de l’agriculture, laissant à l’avenir le soin de prononcer un