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« Pluton, à Cadix, le 30 août 1844. — Je viens vous remercier de vos deux lettres et en particulier de la dernière, dans laquelle vous me dites de si bonnes choses pour moi et pour ma femme. Tous les bonheurs m’arrivent à la fois ; mais j’oublie que ce que j’appelle bonheur est peut-être malheur pour vous, puisque cela risque de troubler la cordiale entente. Pour moi, je ne crois pas à de si graves conséquences de nos actes. Notre cause est parfaitement juste, plus juste que beaucoup d’autres que nous avons laissé passer sans mot dire, en Chine par exemple. Nous avons la volonté de faire nos affaires nous-mêmes, sans le concours ni l’assistance de personne. Nous avons eu pour les étrangers, pour les agens anglais en particulier, tous les égards imaginables. Par égard pour la sûreté de M. Hay, nous avons attendu son retour avant de tirer le canon. Les maisons consulaires de Tanger n’ont reçu aucune atteinte ; pas un boulet de plus qu’il ne fallait pour faire taire les batteries n’a été tiré sur Tanger. À Mogador, nous avons recueilli le consul et les résidens anglais, nous les avons nourris, nos officiers leur ont donné des habits. Le commandant des forces anglaises m’en a écrit une lettre officielle de remercîmens que j’ai envoyée à Paris. Je ne vois là dedans rien de bien outrageant pour l’Angleterre… Je crois avoir rendu service à mon pays en frappant un coup énergique qui nous assurera un jour une influence prépondérante qui doit nous appartenir sur le Maroc. J’ai frappé ce coup avec tous les égards dus aux étrangers, mais aussi en maintenant hautement notre droit de ne prendre conseil de personne. Aujourd’hui je suis des premiers à conseiller au gouvernement de s’en tenir là, de se contenter de la saisie d’Ouchda et de Mogador comme gage, de laisser tomber l’effervescence des Marocains pour pouvoir, avant le printemps prochain, faire une bonne paix : mais il faut qu’on nous seconde… Je vous dirai que, si nous avons à nous plaindre de bien du monde, j’ai grandement à me louer de M. Hay et du capitaine Wallis du Warspite. Avec ces messieurs, je suis à cœur ouvert et cartes sur table. »


Vers le jour où cette lettre me parvenait, le discours de clôture de la reine d’Angleterre annonçait la fin de nos différends tout en faisant comprendre quelle en avait été la gravité. Quelques paroles plutôt de regret que de blâme sur des actes dont il eût été impossible à aucun gouvernement français d’accepter la solidarité, la promesse toute conditionnelle pour M. Pritchard d’une indemnité qui, en définitive, ne fut jamais payée ni même réclamée, tels furent les termes de l’accommodement consenti de notre part sur la trop fameuse question de Taïti. Ceux qui ont si bruyamment désapprouvé un pareil arrangement dans de telles circonstances s’étaient fait une singulière idée de ce que réclament l’honneur et les intérêts d’une grande nation civilisée. Ils s’étaient aussi formé une étrange opinion de la consciencieuse maturité avec laquelle ces questions se discutent, En citant les passages qui m’ont paru caractériser les sentimens mutuels des deux ministres, j’ai soigneusement évité de reproduire un seul paragraphe qui marquât tout ce qui avait été rejeté, écarté