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à cette terrible question du droit de visite. À tout événement, rendez-vous tout à fait maître de la matière. » — Et le 13 juin : « Etudiez-vous toujours, à part vous, la grande, la bien autrement grande question du droit de visite ? N’y renoncez pas. » Nous n’y renonçâmes point en effet. J’aurai à parler plus tard de la seconde des questions qui nous préoccupaient le plus, celle du mariage de la reine Isabelle, car elle fut la pierre de touche réelle de nos loyales relations avec lord Aberdeen ; mais alors la crise était lointaine.


II

Quelques semaines après le départ de M. de Sainte-Aulaire, le principal secrétaire d’état britannique se rendit, pour prendre un peu de repos, dans sa terre de Haddo, en Écosse. Nous avions ensemble tant de choses à régler, à prévoir, qu’il voyait s’interrompre, non sans inquiétude, les relations dont j’étais l’intermédiaire. Aussi m’engagea-t-il fortement à le suivre, et, sous la pressante autorisation de mon gouvernement, je ne tardai pas à le rejoindre. Le voyage de Londres à Aberdeen n’était pas alors une course d’une vingtaine d’heures. Parti de l’ambassade le 7 octobre et en faisant la meilleure diligence possible, je n’arrivai à Haddo-House que le 12. Sur mer la tempête, sur terre les ouragans de neige : la sombre Écosse, que je voyais pour la première fois, m’apparut sous son plus sévère aspect ; mais d’abondantes compensations m’attendaient au terme de ces passagères fatigues. Si lord Aberdeen avait quelque chose qui inspirait, qui commandait même le respect et l’affection dans les entrevues ardues et compassées du foreign office, cet attrait était bien plus sensible encore quand on le voyait dans l’intimité et au sein de sa famille, quand il reprenait, selon ses préférences très décidées, sa grande existence féodale et patriarcale dans le domaine héréditaire de la branche cadette des Gordon. Il chérissait l’Écosse, sa sauvage et poétique patrie. Il aimait avec une passion presque égale non-seulement le calme enchanteur de la vie de campagne, mais tous les plaisirs, toutes les occupations, tous les soins qu’elle offre ou qu’elle entraîne. Le jardinage, l’agriculture, l’administration, tout lui plaisait, jusqu’à la chasse aux loutres, pour laquelle il avait une meute célèbre dans le royaume-uni. Comme la plupart des âmes élevées, rien ne le ravissait plus que le spectacle de la nature, l’étude de ses lois, de ses mystères. Ici comme ailleurs, il avait à son insu l’art de faire partager ses impressions et ses goûts.

Je compte ce premier séjour à Haddo-House parmi les souvenirs les plus intéressans de ma vie. Nous déjeunions de bonne heure, en