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Toutefois un événement des plus douloureux m’avait permis d’apprécier tout ce qu’il y avait de bonté dans son cœur, de vive sensibilité dans sa nature. Le 14 juillet, la nouvelle de la mort de M. le duc d’Orléans était tombée comme un coup de foudre à Londres. La consternation fut profonde et la sympathie universelle. La reine Victoria, sa cour, chacun à l’envi s’associait à notre affliction. Que de témoignages je pourrais reproduire de ce noble et généreux mouvement de la nation tout entière ! Je me bornerai à citer les propres termes de celui qui, plus que personne, était autorisé à parler en son nom :


« A Londres, ce 14 juillet, à la nuit. — Monsieur le comte, j’avais reçu ce matin la nouvelle du malheur qui est arrivé hier à Paris, dont vous m’avez fait l’honneur de m’envoyer le récit, et je vous assure que j’en ai ressenti les conséquences pour sa majesté et son auguste famille, non-seulement dans ses affections et son bonheur domestiques, mais dans la position politique à laquelle l’univers entier est intéressé. Quelques années se sont passées depuis que j’ai eu l’honneur de voir et de connaître le prince que nous avons perdu. Il avait accompagné le roi son père, alors duc d’Orléans, lui étant duc de Chartres, dans une visite que sa majesté fit à Londres au feu roi George IV. Je fus frappé de ses talens, et tout ce que j’ai entendu dire depuis de son altesse royale m’avait démontré que ses qualités étaient de nature à le rendre digne de la position éminente qu’il était destiné à remplir.

« Il a laissé deux princes, l’objet des soins de sa majesté, de l’intérêt et des espérances du monde. Ils ne consoleront pas sa majesté de sa perte, rien ne le pourrait ; mais ils lui donneront un nouvel intérêt et de nouveaux devoirs que son attachement à la tranquillité et aux intérêts de son pays et du monde lui rendra chers.

« WELLINGTON. »


Cependant, au milieu de tant de marques d’intérêt, rien ne m’avait autant touché que la grave et cordiale condoléance de lord Aberdeen. Ses premiers regrets furent pour le roi, pour la famille royale. Il ne se lassait pas de m’interroger, au nom de la reine Victoria, comme au sien, sur les détails de la catastrophe ; il recueillait avec une émotion visible ceux que me transmettait M. Guizot :


« J’ai été pendant trois heures dans cette misérable chambre, en face de ce prince mourant sur un matelas, son père, sa mère, ses frères, ses sœurs, à genoux autour de lui, se taisant pour l’entendre respirer, écartant tout le monde pour qu’un peu d’air frais arrivât jusqu’à lui. Je l’ai vu mourir. J’ai vu le roi et la reine embrasser leur fils mort.

« Nous sommes sortis, le corps du prince sur un brancard : un long cri de vive le roi ! est parti de la foule, qui s’était assemblée autour de la maison. La plupart croyaient que le prince n’était pas mort, qu’on le ramenait à Neuilly pour le mieux soigner. La marche a duré plus d’une demi-heure.