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misérables passions qui viennent trop souvent compliquer, comme à plaisir, la véritable mission de la diplomatie. Il ne quittait qu’à regret sa sphère élevée pour prendre part à nos tristes conflits. Que d’efforts, que de sacrifices les nations ne font-elles pas en tout genre pour s’assurer le respect de leurs rivales ! Sauraient-elles être trop sévères dans le choix de ceux qui personnifient pour ainsi dire leur puissance et leur caractère dans les négociations de peuple à peuple ? Dès nos premières, entrevues, lord Aberdeen m’apparut comme le type de tout ce qu’il y a de vraiment libéral et national dans la vieille Angleterre. Assez d’autres se chargeaient d’être les organes des aveugles préjugés, des passions déréglées du pays, et ils y trouvaient leur compte. Bien plus que les princes, les peuples veulent avoir leurs fervens adulateurs et leurs grossiers complaisans. Auprès d’eux plus qu’ailleurs, l’estime est pour Sénèque, mais la faveur pour Narcisse.

J’ai dit que lord Aberdeen avait reconnu promptement et franchement la révolution de juillet. Il l’avait vue pourtant avec regret. Il aimait les princes et les hommes de la restauration ; il aimait les traditions de l’ancienne France dans ce qu’elles avaient d’élevé et de chevaleresque. Resté Fidèle aux souvenirs de 1815 avec la mesure et la modération qui ne l’abandonnaient jamais, il ne voyait pas sans une certaine défiance notre pays reprendre en Europe sa position dominante. Deux questions notamment l’avaient mis en conflit presque personnel avec le gouvernement nouveau, l’occupation prolongée de l’Algérie et le démembrement du royaume des Pays-Bas. Exempt néanmoins de mesquines jalousies, il acceptait plus que personne l’empire des faits, et il rendait pleine justice aux efforts du roi Louis-Philippe pour faire respecter les droits de ses voisins comme pour faire prévaloir les siens. Il était revenu au pouvoir animé du plus sincère désir de cultiver les meilleurs rapports avec le gouvernement constitutionnel de la France. Toutefois il se sentait moins que jamais enclin à sacrifier les grandes alliances continentales qui ont tant de fois assuré à la Grande-Bretagne sa prépondérance durant la paix comme son triomphe durant la lutte. Rien à ce moment n’annonçait encore la dissolution de la formidable ligue qui, après vingt ans d’efforts, avait dompté la France. Le sagace secrétaire d’état ne se croyait nullement appelé à en précipiter la rupture, tout en ne recherchant avec le gouvernement français que le maintien de la bonne harmonie. Les dispositions de la France ne réclamaient, ne comportaient pas autre chose. Pendant les trois mois que durèrent en 1842 mes rapports avec lord Aberdeen, aucun progrès ne fut fait entre nous vers une intimité plus grande, soit personnelle, soit officielle. Cette intimité d’ailleurs, nous l’eussions