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LORD ABERDEEN
SOUVENIRS ET PAPIERS DIPLOMATIQUES

Quand la mort vient frapper un homme d’état éminent en possession du pouvoir, dans la plénitude de ses forces, alors que les destinées d’un grand empire paraissaient devoir rester longtemps encore associées aux siennes, le pays lui-même se sent atteint, et le deuil d’une famille devient le deuil de la nation. Il en est surtout ainsi chez les peuples libres, où la seule présence aux affaires d’un ministre dirigeant accuse toujours dans une certaine mesure la sympathie et la confiance publiques. Aussi, quand M. Pitt, M. Fox, M. Casimir Perier ont été enlevés à leur pays, les solennels hommages rendus à leur cercueil n’ont que faiblement représenté l’alarme et la douleur générales. Plus tard, lorsque, dans le plein exercice de ses facultés transcendantes, sir Robert Peel est tombé foudroyé, la consternation universelle a témoigné du sentiment d’une perte aussi irréparable qu’imprévue, et la même impression s’est tout récemment produite à la nouvelle de la mort du comte de Cavour. Il n’en a point été, il ne pouvait guère en être de même lorsque le plus fidèle et le plus illustre des amis de sir Robert Peel est à son tour lentement descendu dans la tombe. Sans toucher encore aux extrêmes limites de la vie humaine, lord Aberdeen avait dépassé celles des carrières politiques ordinaires. Depuis longtemps, sa santé était chancelante. L’Angleterre, qui l’avait toujours plus respecté que compris, avait cessé de compter sur lui, soit dans le présent, soit pour l’avenir. Un cortège d’élite lui rendit pieusement les derniers devoirs ; mais en définitive la nation anglaise vit disparaître avec une passagère émotion le plus profondément intègre peut-être de ses hommes d’état. Les services passés et les plus rares vertus ne pèsent guère,