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d’intérêts et de besoins, Necker ajoutait ces mots, qu’on dirait encore écrits d’hier : « Comme la force morale et physique d’un ministre ne saurait suffire à une tâche si immense et à de si vastes sujets d’attention, il arrive nécessairement que c’est du fond des bureaux que la France est gouvernée, et selon qu’ils sont plus ou moins éclairés, plus ou moins purs, plus ou moins vigilans, les embarras du ministre et les plaintes des provinces s’accroissent ou diminuent. En ramenant à Paris tous les fils de l’administration, il se trouve que c’est dans un lieu où l’on ne sait rien que par des rapports éloignés, où l’on ne croit qu’à ceux d’un seul homme, et où l’on n’a jamais le temps d’approfondir, qu’on est obligé de diriger et de discuter toutes les parties d’exécution. Les ministres auraient dû sentir qu’en ramenant à eux une multitude d’affaires au-dessus de l’attention, des forces et de la mesure du temps d’un seul homme, ce ne sont pas eux qui gouvernent, ce sont leurs commis, et ces mêmes commis, ravis de leur influence, ne manquent jamais de persuader au ministre qu’il ne peut se détacher de commander un seul détail, qu’il ne peut laisser une seule volonté libre, sans renoncer à ses prérogatives et diminuer sa consistance. »

Il faudrait reproduire en entier ce mémoire important. En voici un dernier extrait : « Cet ouvrage imparfait et successif de l’administration française présente partout des obstacles. Qui peut les vaincre et les surmonter le plus facilement ? Est-ce un seul homme ? Est-ce un corps d’administration ? C’est un homme seul sans doute, si vous réunissez en lui les qualités nécessaires. Rien n’est plus efficace que l’action du pouvoir dans une seule main ; mais en même temps que je crois autant qu’un autre à la puissance active d’un seul homme qui réunit au génie la fermeté, la sagesse et la vertu, je sais aussi combien de tels hommes sont épars dans le monde, combien, lorsqu’ils existent, il est accidentel qu’on les rencontre, et combien il est rare qu’ils se trouvent dans le petit circuit où l’on est obligé de prendre les intendans de province. L’expérience et la théorie indiquent également que ce n’est pas avec des hommes supérieurs, mais avec le plus grand nombre de ceux qu’on connaît et qu’on a connus, qu’il est juste de composer une administration provinciale, et alors toute la préférence demeurera à cette dernière. Dans une commission permanente, composée des principaux propriétaires d’une province, la réunion des connaissances, la succession des idées, donnent à la médiocrité même une consistance ; la publicité, des délibérations force à l’honnêteté ; si le bien arrive avec lenteur, il arrive du moins, et une fois obtenu, il est à l’abri du caprice, tandis qu’un intendant, le plus rempli de zèle et de connaissances, est bientôt suivi par un autre qui dérange ou abandonne les projets de son prédécesseur. Dans l’espace de dix à douze ans, on