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de l’empire où domine l’insurrection : Partie de Shang-haï le 8 novembre 1858, l’expédition y fut de retour le 1er janvier suivant et rapporta des impressions peu favorables aux rebelles[1]. Autour des villes où flottait leur étendard, les campagnes semblaient arides et désertes ; les horreurs de la guerre civile, le pillage, la ruine et l’incendie, avaient laissé partout leurs désolantes empreintes ; les traces bienfaisantes d’une administration tutélaire et réparatrice ne se montraient nulle part. On voyait qu’après avoir tout détruit, ils n’avaient rien édifié. En résumé, on pouvait tenir pour certain que les populations ne leur étaient point sympathiques, et que l’extrême faiblesse du gouvernement mandchou faisait à elle seule toute leur force. Les grandes villes situées sur les rives du Yang-tze-kiang, depuis Nankin jusqu’à Toung-liou, étaient en leur possession. Au-delà de Toung-liou, l’autorité de l’empereur paraissait partout rétablie ; l’aspect était plus animé et moins triste. Les forts de Nankin, de Ta-ping et de Ngan-king firent feu sur les Anglais. On les réduisit au silence après une canonnade assez vive. Deux matelots de la Rétribution furent tués ; un boulet perça le pavillon de lord Elgin. À Ta-ping, un rebelle vint à bord, présenta, des excuses verbales et remit à un officier du Furious une note écrite en style assez fier, dans laquelle le commandant de la place promettait aux frères étrangers les faveurs du roi céleste, s’ils voulaient lui prêter leur assistance pour la destruction des démons tartares. Une simple déclaration de neutralité fut la réponse. L’ambassadeur d’Angleterre resta cinq jours dans le fameux port d’Han-kao, visita Vou-tchang-fou, où le vice-roi du Hou-kouang le reçut avec un empressement plein de courtoisie. Quand l’expédition revit Shang-haï après une absence de sept semaines, il n’était personne à bord des bâtimens anglais qui ne fût convaincu de l’anéantissement prochain de la rébellion chinoise.

Les événemens militaires qui s’accomplirent au centre du Kiang-sou pendant l’hiver de 1860 parurent d’abord confirmer la justesse de cette opinion. On annonçait que Tchang-kouo-liang venait de remporter d’éclatans avantages ; un mouvement offensif habilement combiné avec les manœuvres du général en chef Ho-tchoun l’avait rendu maître de Yang-tchao et ramené sous les murs de Nankin. La navigation du Grand-Canal était libre. Les autorités provinciales affirmaient sans hésiter que cette fois Taï-ping-ouang était perdu sans ressource, et qu’avant un mois la tête du fameux chef de la rébellion serait envoyée à l’empereur. Comment ces brillantes illusions

  1. L’expédition se composait de trois corvettes à vapeur, le Furious, la Rétribution et le Cruiser, et de deux chaloupes canonnières, le Lee et le Dove.