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sans que d’aussi grands succès eussent amené aucun résultat important. Sa verve n’était pas encore épuisée, lorsque les événemens vinrent trahir sa fortune. Au mois de mars 1856, les assiégés, qui commençaient à manquer de vivres, firent une sortie, rompirent en plusieurs endroits les lignes d’investissement, et mirent en pleine déroute l’armée du généralissime, qui s’enfuit d’une seule traite jusqu’à Tan-yang. Quelques jours après, Hiang-yong s’y laissait surprendre et entourer par les rebelles. Le camp retranché qu’il avait fait construire était pris et brûlé. Un décret de l’empereur flétrissait sa défaite et le privait de ses dignités. Le chagrin, la honte et la goutte tuèrent bientôt ce vieillard, qui avait rendu en 1852 de grands services à son souverain. Hienn-foung versa des larmes en apprenant sa mort, et fit nommer une députation qui devait accompagner jusqu’à Pékin ses dépouilles mortelles. Ce fut Ho-tchoun, général en chef des troupes du Ngan-hoeï, qui recueillit son périlleux héritage.

Les avantages éclatans que venaient de remporter les soldats de Taï-ping-ouang furent suivis d’aventures mystérieuses et terribles, qui mirent un instant sa cause dans le plus sérieux péril. Pendant que son armée emportait les retranchemens de Tan-yang, la discorde divisait ses partisans et ensanglantait sa capitale. Taï-ping-ouang voyait grandir dans son propre conseil une influence dangereuse pour son autorité. Hiang-siou-tsing, qui avait pris le titre de roi de l’est, tchong-ouang, était en même temps le plus capable et le plus influent de ses ministres, le plus hardi et le plus populaire de ses généraux. Il avait obtenu pour son fils aîné la succession de son collègue le roi de l’ouest, qui avait, disait-on, disparu dans un combat. Imposteur habile, sophiste éloquent, ingénieux écrivain, il s’était attribué depuis quelque temps dans ses discours et ses proclamations le rôle du saint-esprit. Il primait dans le conseil, se faisait donner les charges les plus importantes, et avait déjà le pied sur les marches du trône, lorsqu’une jalousie de harem le brouilla avec le roi du nord, Oueï-tching, qui occupait aussi à la cour de hautes dignités, et sauva Taï-ping-ouang. Ce dernier favorisa sous main ces dissensions intestines, maintint quelque temps la balance égale entre les deux rivaux, en faisant aider secrètement le plus faible, et manda en toute hâte à son aide un autre de ses généraux, le prince assistant Chi-ta-kah, qui guerroyait alors dans le Kiang-si ; puis, quand il jugea le moment venu de se débarrasser d’un homme qui lui portait ombrage, il prit parti ouvertement pour le roi du nord. HiangTsiou-tsing succomba devant cette alliance. En une seule nuit, trente mille de ses partisans étaient égorgés. Déclaré coupable de haute trahison, il fut condamné à mort, et périt écartelé par quatre buffles.