Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/327

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des événemens qui touchent de trop près aux destinées de la rébellion et à l’avenir de nos relations avec la Chine pour ne pas mériter une sérieuse attention. Ces événemens, qui ont conduit les soldats de Taï-ping jusqu’aux portes de Shang-haï, nous ont rapprochés de l’insurrection ; ils nous eussent permis de pénétrer ses secrets, de l’étudier, de la connaître, si, pour ménager, dans l’intérêt de nos négociations avec le gouvernement impérial, la position qu’une stricte neutralité nous avait faite, nous n’avions cru devoir éviter tout ce qui eût pu nous mettre en contact officiel avec ses ennemis et repousser systématiquement leurs avances. Dans de telles circonstances, quand les agens des grandes nations se trouvent en face d’un élément inconnu et mystérieux dont le développement menace l’existence même du pouvoir auprès duquel ils sont accrédités, quand ils sont séparés par une longue distance des pays qu’ils représentent et doivent attendre pendant plusieurs mois les instructions qu’ils sollicitent, ils ne sauraient mesurer avec une attention trop minutieuse la portée de leurs démarches et en calculer avec trop de soin les résultats. Les trois plénipotentiaires d’Angleterre, de France et des États-Unis ont voulu, dès 1853 et 1854, prendre par eux-mêmes une idée de la rébellion chinoise, de ce mouvement national, politique et religieux, dont on racontait à Shang-haï des choses si étranges et si merveilleuses. Ils ont remonté successivement le Yang-tze-kiang et séjourné quelques heures devant Nankin ; mais aucun de ces trois agens n’eût risqué de compromettre son caractère et son mandat en négociant avec Hong-siou-tsiouen ou ses ministres. Sir George Bonham, le représentant de la Grande-Bretagne, eut la satisfaction d’inspirer une salutaire terreur aux soldats de Taï-ping-ouang en faisant lancer quelques bombes par les canons de l’Hermès au milieu des batteries rebelles qui avaient salué son passage avec leurs boulets. M. de Bourboulon vit de plus près les chefs insurgés ; il trouva l’occasion d’humilier la morgue insolente du confident de Taï-ping-ouang par son attitude digne et fière, et lui fit comprendre que la France entendait qu’on respectât partout les chrétiens[1].Le ministre des États-Unis, M. Mac-Lane[2], accepta près de Tchin-kiang-fou les avances officielles du commandant de la flotte impériale ; il ne descendit pas à terre, et se contenta de

  1. M. de Bourboulon, que j’avais l’honneur d’accompagner en qualité de secrétaire de notre légation, avait quitté Shang-haï le 30 novembre 1853 et y était de retour le 18 décembre suivant. îl avait pris passage sur la corvette à vapeur le Cassini, que commandait M. le capitaine de vaisseau Robinet de Plas.
  2. L’excursion de M Mac-Lane eut lieu en mai 1851. Ce fut le Susquehannah, une des plus belles et des plus grandes frégates des États-Unis, qui le porta jusqu’à Wou-hou, à plus de quatre-vingt-dix lieues de l’embouchure du Yang-tze-kiang.