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de l’Italie, y appela les Français comme diversion, et de Charles VIII à Napoléon Ier, fit de sa patrie le prix de la lutte entre l’Autriche et la France.

On quitte à Torre del Mangano la belle route bordée de canaux et d’arbres qui mène de Milan à Pavie, et, tournant à angle droit par une avenue plantée, on arrive en face de la porte d’un grand bâtiment carré d’apparence assez commune. Sous le porche, des fresques dégradées sont attribuées à Bernardino Luini. C’est l’entrée d’une vaste cour fermée dont le côté droit est occupé par une, espèce de château servant jadis d’hospice aux pieux ou curieux visiteurs de la chartreuse. Le fond de la cour est fermé par une façade de marbre blanc, celle de l’église, ainsi dédiée : Mariæ Virgini, Matri, Filiæ, Sponsæ Dei. Le dernier titre abuse un peu de la métaphore ; mais on est plus occupé de regarder le monument que de critiquer les inscriptions.

Le président de Brosses à la réputation d’un homme de goût, et même il la mérite. Voici pourtant comment il juge cette galimafrée de tous les ornemens imaginables. « Cela ne laisse pas de faire un coup d’œil qui amuse la vue, car il y a par-ci par-là de bons morceaux ; mais c’est toujours du gothique. Je ne sais si je me trompe, mais qui dit gothique dit presque infailliblement un mauvais ouvrage. » Assurément il se trompait, on n’en doute pas aujourd’hui, et il faut ajouter que le gothique n’avait que faire ici. On n’en trouverait guère de traces dans l’église entière. Quant à la galimafrée, c’est une façade, œuvre de la renaissance, dans ce goût dit de cinquecento, qui n’attend l’effet d’ensemble que de l’accumulation des détails. Aussi, quoique assez haute et assez large, paraît-elle d’abord relativement petite à cause de la multitude de ses ornemens. Il a fallu les diminuer, afin d’en mettre tant. C’est une telle profusion de pilastres et de colonnettes en candélabres, de niches, de médaillons, de compartimens divers, de bas-reliefs et de statues, d’encadremens et de moulures, qu’on dirait un de ces cabinets d’ivoire travaillés avec un art patient qui s’ingénie à faire de jolis chefs-d’œuvre. C’est, au premier abord, de la sculpture d’ébénisterie ; c’est un meuble en marbre. Cependant, en regardant plus longtemps, la beauté d’exécution, le mérite des parties relèvent l’impression générale, et l’on arrive à une admiration qui n’est pas du premier ordre, à celle qu’on doit au produit combiné du talent et de la magnificence réunis dans une pensée sans grandeur et sans génie. Le peintre Ambroise de Fossano, nommé souvent le Borgognone, a dessiné ce vaste cadre que des sculpteurs habiles, Jean-Antoine Amadeo, Marc-Aurèle Agrate, Jean-Jacques della Porta, Augustin Busti dit le Bambaja, Christophe Solari dit le Gobbo, ont rempli d’œuvres