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l’Evêque noir de Zurbaran sont loin de produire aujourd’hui sur le spectateur l’impression qu’ils produisaient dans la galerie du maréchal Soult. Ce n’était pas quelques tableaux qu’il fallait acheter ; si l’on voulait donner au public l’intelligence de la peinture espagnole, c’était la galerie tout entière. Ainsi aurait été remplacé ce riche musée espagnol, propriété des princes d’Orléans, qui a disparu du Louvre après la révolution de février, ce musée si intéressant par l’abondance et la diversité des œuvres qu’il renfermait, et qui permettait au curieux d’entrer si profondément dans l’intelligence de l’art espagnol sans qu’il eût besoin de sortir de Paris. Après quelques visites dans ce musée, on se sentait transporté dans un monde tout particulier de l’art, dans un monde qui n’était ni celui de la beauté comme le monde italien, ni celui de la raison comme le monde français, ni celui de la familiarité et de la bonhomie comme le monde hollandais, dans un monde où tout était passion, aridité, sécheresse, âpreté et violence. On regimbait, mais bientôt la fascination opérait, et on éprouvait un charme maladif à contempler ces physionomies hérissées, ces corps desséchés, ces expressions hideuses d’une foi sauvage et vivace. J’ose dire que ceux d’entre les jeunes Français qui n’ont pu voir le musée espagnol du Louvre à l’époque où il existait ne peuvent avoir aucune idée de cette école par les échantillons que nous en possédons aujourd’hui, quelque remarquables qu’ils soient. Quiconque ne verra que quelques échantillons de la peinture espagnole gardera de cette peinture une impression fausse et fâcheuse, et je crains bien de caractériser par ces épithètes le sentiment qu’ont éprouvé beaucoup de curieux et de contemplateurs devant les trop rares tableaux que le Louvre possède de cette école.

On voit que ce goût tout nouveau pour l’art qui s’est emparé de nous n’est pas exempt de défauts et peut commettre à l’occasion bien des erreurs. Il y aurait encore à dire bien des choses sur ces défauts et ces erreurs. Nous nous bornerons pour aujourd’hui aux quelques réflexions qui précèdent. Disons, pour excuser notre amour des arts, qu’il est de date assez récente, et qu’il a par conséquent les défauts de la jeunesse. Il se distingue plutôt par l’empressement et l’ardeur que par la sagacité et le discernement. Il pèche volontiers par une exubérance d’admiration qui le porte à tout confondre et à prodiguer à l’art de second ordre les mêmes louanges qu’au grand art. Son éducation est à peine ébauchée, mais elle se ferait facilement, je le crois, et en assez peu de temps, si la critique d’art, qui est un peu nonchalante, se donnait plus souvent la peine de l’aider et de le guider.

Nous aurions besoin pendant quelques années d’un certain nombre de livres comme celui que vient de publier notre collaborateur