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L’idée de la civilisation italienne ne se présente que tardivement à l’imagination, et n’arrive pour ainsi dire que comme accessoire. Le souvenir de l’Italie pourrait être aboli, que ces œuvres n’en resteraient pas moins ce qu’elles sont, parce qu’elles ne tirent pas l’intérêt qu’elles inspirent de circonstances extérieures et étrangères à l’art de la peinture. Leur valeur est presque tout entière dans leur beauté et dans la réalisation qu’elles présentent des grandes lois de l’art.

Si tel est le caractère des peintures espagnoles et hollandaises, il est facile de comprendre qu’on ne peut les goûter de la même manière que les peintures italiennes. Que peut dire à l’esprit un seul tableau de Murillo ou de Zurbaran, je vous le demande ? Rien, ou à peu près rien ; tout au plus produira-t-il une impression d’étonnement ou un effet irritant de curiosité maladive. Devant un tableau espagnol isolé, le contemplateur éprouve une sensation toute particulière : cette peinture l’irrite sans le satisfaire ; elle ne lui suffit pas, il ne comprend pas ou ne comprend qu’imparfaitement, il ressent une irrésistible envie de voir d’autres œuvres de la même école. Si sa curiosité n’est pas satisfaite, son jugement courra risque d’être faux, ou même malveillant, car il aura manqué des élémens nécessaires pour se former une opinion vraie. Mais tout change lorsque cette curiosité a pu se satisfaire. Alors peu à peu le sens intime de cette peinture se révèle ; toutes ces toiles se complètent l’une par l’autre et se servent l’une à l’autre de commentaire ; les singularités qui nous frappaient comme des exceptions étranges nous expliquent leur raison d’être et leur droit d’exister ; les scènes, les figures, les combinaisons, qui nous apparaissaient comme des produits de la fantaisie individuelle des artistes, nous découvrent quelles furent les réalités de tous les jours d’une vie éteinte. Pour comprendre la valeur de la peinture espagnole, quelques tableaux, même choisis avec discernement, ne suffisent donc pas, il faut en voir beaucoup et le plus possible. Je soumets humblement ces réflexions à l’attention des administrateurs du musée du Louvre, dont le bon vouloir et le zèle se sont laissé égarer, à notre avis, dans ces dernières années, sur ce chapitre de la peinture espagnole. Ils ne nous semblent pas avoir compris suffisamment que cette peinture est de celles qui ne se laissent pas juger sur quelques échantillons. On a choisi dans la galerie du maréchal Soult quelques tableaux de Murillo, de Zurbaran et d’Herrera ; mais ces peintures, j’ai le regret de le dire, malgré les qualités d’énergie qui les recommandent, choquent presque comme des extravagances et paraissent hors de leur place. Ajoutons qu’elles perdent au Louvre la moitié de leur valeur par le voisinage des peintures italiennes et françaises ; le Saint Basile d’Herrera et la Mort de