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Les peintures qui décorent une des salles de l’Alhambra attestent que l’aversion des Maures pour les représentations figurées n’était point si violente. D’ailleurs, à la suite de l’art arabe, s’introduisait l’art byzantin, qui l’avait inspiré jadis et le soutenait encore. Il reste en Espagne des œuvres byzantines assez nombreuses et assez belles pour avoir pu former un Cimabué et un Giotto. Ce ne sont donc pas les modèles qui ont manqué, ce sont les hommes.

On a dit aussi que l’Espagne, occupée pendant plusieurs siècles à chasser ses dominateurs, a vu se prolonger plus longtemps cette crise d’enfantement qui s’appelle le moyen âge. Née plus tard à la civilisation, elle n’a pu pousser aussi loin la science de l’art et des traditions, qui ne se forment qu’avec l’aide du temps ; mais la crise a été beaucoup plus simple en Espagne que dans les autres pays, et dès la fin du XIIIe siècle la croisade contre les Maures était assurée de triompher. D’ailleurs la découverte de l’Amérique et la renaissance sont deux faits contemporains ; les trésors ne manquaient pas aux Espagnols pour payer les chefs-d’œuvre. On sait au contraire quel usage ils en firent, surtout sous Philippe II. Peut-être le caractère même de ce peuple expliquerait-il mieux la stérilité de ses écoles de peinture et l’impuissance relative de ses aspirations. Fier et indomptable, il n’a ni la souplesse d’esprit ni la docilité qui font des disciples après avoir fait des maîtres. Le sentiment personnel que les romantiques de notre temps ont divinisé et l’allure indépendante qu’ils ont affectée sont chez les Espagnols un don inné. Leur littérature est par excellence romantique, c’est-à-dire que les traditions et les règles y sont inconnues, tandis que le bon plaisir de l’auteur règne tout-puissant. Il en est de même dans l’art. En vain les peintres s’attachent à copier des modèles ou à s’imposer un professeur, leur tempérament les entraîne, et bientôt ils cessent d’apprendre, parce qu’ils sont peu capables d’imiter. Il ne convient pas de blâmer dans une race un tel instinct, qui est une des conditions de l’originalité. L’école qui saurait y joindre le labeur, la passion du beau, l’application infatigable, atteindrait un singulier degré d’expression et d’énergie. Malheureusement le peuple espagnol n’est point ennemi d’une certaine paresse que le climat excuse, mais qui contribue à retenir ses efforts, quand il serait l’heure de les redoubler., En étudiant avec soin les œuvres des divers artistes, on voit le point où ils se sont arrêtés, se contentant de répéter les sujets religieux, cherchant les compositions faciles, satisfaits d’une exécution rapide et molle qui pour d’autres n’eût été que le début.

Cette indolence naturelle, s’alliant à un goût assez sensible pour ce qui est trivial, paralysa les intentions les plus sincères ; car on ne saurait s’imaginer avec quelle bonne foi les artistes de la Péninsule