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l’Espagne n’est pas très connue, et l’on n’a guère réclamé contre la hardiesse des auteurs espagnols qui ont écrit sur l’art. Nous disons avec raison de certaines affirmations qu’elles en imposent, car des écrivains étrangers, gagnés par l’exemple, n’ont su que pousser l’emphase plus loin encore. Le Dictionnaire des Peintres espagnols, que Quilliet dédiait au duc de Berri en 1816, nous montre combien les hommes subissent les jugemens tout faits et trouvent la déclamation plus aisée que la critique.

Si l’on considère l’école espagnole dans son ensemble, il faut reconnaître qu’elle ne peut être comparée ni aux écoles de l’Italie, ni à l’école française, ni aux écoles flamande et hollandaise. Elle soutiendrait la lutte avec l’Angleterre, qui n’a eu que des peintres habiles, ou peut-être avec l’Allemagne, qui, malgré plusieurs maîtres illustres, n’offre après eux que des traditions affaiblies. Un seul peintre en Espagne fera dire de lui qu’il a du génie : ce peintre, c’est Velasquez. Pour Murillo, sa facilité charmante et la pieuse mollesse de son pinceau permettent d’affirmer qu’il a du talent, mais rien de plus : il n’a aucune des grandes qualités qui font les maîtres. Je ne parle pas de Ribera, qui s’enfuit de Valence tout jeune pour se faire italien, qui fut l’adepte fervent du Caravage, ne retourna jamais dans sa patrie et mourut à Naples. S’il honore l’Espagne, il ne lui appartient plus. Après Velasquez et Murillo, à un degré bien inférieur, on citera plusieurs artistes qui ont du mérite : Alonzo Cano, qui fut moins bon peintre que bon sculpteur ; Zurbaran, dont la fermeté ascétique touche à la rudesse, et rappelle trop le laboureur de l’Estramadure ; Juanès, qui apprit des derniers disciples de Raphaël les lignes suaves et les contours harmonieux : Sanchez Coello, qui fut pour Philippe II ce que Velasquez fut pour Philippe IV, mais dont les portraits les plus vantés périrent dans les incendies du Pardo et de l’Alcazar ; Luis de Vargas et Juan de Las Roelas, tous les deux nourris dans les écoles de l’Italie, et demeurant de louables imitateurs, dont la vigueur est incontestable, mais dont le style inculte, désordonné, est plutôt digne des Hurons que d’un peuple civilisé. Il faut rapprocher les œuvres de ces artistes de celles des peintres italiens, je ne dis pas du premier, mais du deuxième et troisième ordre, pour juger sainement quelle est leur place dans l’histoire de l’art ; mais si l’on descend plus bas, si l’on jette un regard sur les toiles du commun des martyrs, on est surpris de l’ignorance profonde de la plupart de ces Espagnols dont les biographies sont si pompeuses. Que de fois ils m’ont fait songer aux tableaux suspendus dans les corridors ou entassés dans les greniers de nos vieux châteaux, et dont les auteurs se sont sagement voués à l’oubli !