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s’élevant contre la poésie. Ce fut sa punition. — Ne doit-on pas s’étonner que de pareilles théories aient pu trouver de l’écho à la fin du XVIIIe siècle, et que, sur la foi du philosophe athénien, Filangieri ait proposé de faire de l’avocat une espèce de juge rapporteur devant les tribunaux ? Cette doctrine frappait au cœur le droit de la défense, elle a fait son temps et n’a plus d’adeptes. C’est tout au plus si on la retrouve dans les appréciations superficielles du monde ou sur les théâtres, d’où elle a longtemps envoyé d’innocens traits au barreau, qui en a ri et ne s’est point senti blessé.

Reste à la défense une voie plus large, où il lui est donné de se mouvoir avec une liberté absolue et d’user de toutes ses armes, de toutes ses ressources, pour la recherche de la vérité judiciaire : nous disons de la vérité judiciaire, et non de la vérité absolue, qui est du domaine de la philosophie. On n’a point imposé au juge une œuvre impossible ; pour faciliter sa tâche et soulager sa conscience, souvent la loi a pris soin d’attacher la vérité à tel fait ou à tel genre de preuves, et elle a tracé le cercle dans lequel est renfermée pour elle la vérité judiciaire. Ce cercle, si étroit en Autriche et en Allemagne, est fort large devant les tribunaux français, assez large pour que l’avocat et le juge n’aient point à le franchir, et lorsqu’en s’y renfermant ils ont l’un et l’autre accompli leurs explorations, la justice est satisfaite, car ils ont fait, disait Duport, tout ce qui dépend des hommes pour que la vérité soit connue. Dans ces explorations, dans cette recherche, jusqu’où peut aller la parole de l’avocat ? La règle n’a jamais été posée, parce qu’en effet elle ne saurait l’être : ce qui est ici la liberté, là ne serait peut-être plus la liberté ; il faut tenir compte des temps et des lieux : il faut aussi envisager le mécanisme des institutions judiciaires et se pénétrer des nécessités qu’il impose à l’avocat. Avec nos habitudes, lorsque nous relisons aujourd’hui les plaidoiries des avocats grecs et romains, nous sommes surpris, choqués même des hardiesses et des violences que l’on y rencontre. Dans ses discours sur l’ambassade et sur la couronne, Démosthènes se laisse aller aux personnalités, aux apostrophes les plus sanglantes. Cicéron prend à partie les plaideurs, les témoins, les juges. L’ironie et le sarcasme, la raillerie et l’invective, vous trouvez tout cela dans ses plaidoiries. « Il n’y a plus rien de sacré, dit-il par exemple, et la vertu du juge ne vient plus en aide à la faiblesse de la partie. » — Voilà pour les magistrats. — « Ne sois pas étonné, Vatinius, si je te fais l’honneur de t’interroger, toi dont nul ne voudrait dans sa société, et qui es aussi indigne du droit de cité que de la lumière du jour ! Rien au monde ne m’aurait poussé à cette extrémité, si je n’avais voulu châtier ta sotte arrogance, abaisser ton audace, et arrêter ton bavardage par