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autant vaudrait dire que ce qui n’est point écrit dans les lois et les constitutions est sans valeur. Les droits naturels ont traversé les siècles sans codes et sans chartes : en sont-ils moins certains ? Placé à cette hauteur et envisagé à ce point de vue, le barreau n’est point une institution précaire émanant des volontés de la loi, mais une institution nécessaire dérivant du droit naturel, et qui a pour condition souveraine l’indépendance. Sans indépendance, pas de barreau : dès qu’il peut être asservi, le barreau n’existe plus ; intimement lié au droit sacré de la défense, avec lui meurt ce droit quand il n’est plus libre. Voulez-vous savoir s’il existe un barreau, des avocats dans un pays : ne recherchez pas si ce pays possède ou non des tribunaux ; voyez seulement à quel régime il est soumis. Là où règne le despotisme, c’est-à-dire la raison du plus fort, le droit naturel de la défense est méconnu et le ministère de l’avocat devient impossible ; il est dans l’ordre des choses qu’il soit rabaissé, molesté, proscrit enfin. À cet égard, qu’importe l’âge des peuples ? Il est des nations qui ont eu des avocats à leur formation même, parce qu’elles jouissaient d’institutions libérales ; il en est qui comptent presque autant d’années que les pyramides, et n’en ont pas. On peut affirmer par exemple sans trop de hardiesse qu’à Thèbes et à Lacédémone le barreau devait être à peu près inconnu. Dans son livre sur les orateurs, Cicéron a lui-même fait cette remarque. « Le goût de l’éloquence, dit-il, n’était point commun à la Grèce entière ; c’était un heureux attribut du peuple athénien. Qui peut dire en effet qu’il ait existé dans ce temps-là un orateur d’Argos, de Corinthe ou de Thèbes, si ce n’est Épaminondas, homme assez éclairé pour qu’on lui suppose quelque talent en ce genre ? Quant à Lacédémone, je n’ai pas entendu dire que jusqu’à ce jour elle en ait produit un seul. » Cicéron ne remonte point à la cause du fait qu’il signale ; mais observez qu’il ne trouve d’orateurs que là où le peuple jouissait véritablement d’institutions libérales, c’est-à-dire à Athènes, cette terre classique du gouvernement libre. Argos, Thèbes, Corinthe et Lacédémone vivaient plus ou moins sous le despotisme ; la liberté n’y fut jamais que de passage.

L’auteur d’un mémoire dont nous avons déjà indiqué l’objet, M. Egger, a pensé néanmoins qu’Athènes n’avait pas eu de véritables avocats. Qu’il lui ait manqué un barreau organisé et perfectionné comme le nôtre, cela peut être. La république athénienne eut ses rêves, et l’un de ces rêves avait été que le peuple possédât tous les talens, toutes les vertus, qu’il fût tout à la fois guerrier, magistrat, orateur et homme d’état. Le droit de la libre défense était le premier des droits, mais chacun, dit M. Egger, devait l’exercer soi-même ; nous verrons renaître cette idée en 1789. La force des choses