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L’INSURRECTION CHINOISE.

par nous de son prestige, ruinée par les immenses sacrifices que les derniers événemens ont imposés à son trésor, amoindrie déjà par l’ambitieux voisinage de la Russie, exposée aux coups incessans de l’insurrection qui occupe maintenant une grande partie de ses plus belles provinces, pressée par nos légitimes exigences, elle a conservé assez de force pour ne pas succomber. Nous devons nous demander si, dans un temps qui n’est peut-être pas éloigné, la Chine n’échappera pas à la domination des Mandchoux comme elle a brisé, il y a cinq siècles, le joug des Tartares-Mongols, si elle restera unie, ce qui paraît probable à cause de la remarquable uniformité de ses instincts et de ses mœurs, et quels seront ses nouveaux maîtres.

Exposer quelques-unes de ces considérations, c’est expliquer le motif qui m’engage à publier le résultat de mes études sur l’insurrection chinoise. Je me suis trouvé plusieurs fois en contact avec quelques-uns des principaux acteurs de ce grand drame national, j’ai patiemment recueilli sur les lieux mêmes les documens où il faut en chercher l’histoire, et j’entreprends ici de les contrôler par mes souvenirs, mes observations et mes impressions personnelles. Je sais par expérience qu’on n’y puise pas toujours des données authentiques. La Gazette de Pékin agrandit systématiquement les succès des armes impériales, et en atténue constamment les revers ; les proclamations des rebelles s’adressent aux populations qu’ils veulent gagner, ou aux étrangers qu’ils veulent séduire. Les relations des courageux et indulgens visiteurs que Nankin et Sou-tchéou ont accueillis renferment quelquefois de complaisantes réticences qui dissimulent habilement l’austère réalité. Dégager le vrai des exagérations officielles ou officieuses qui l’obscurcissent ou le dénaturent, raconter ce que j’ai vu moi-même, dire tout ce que j’ai pu apprendre sur des événemens dont les conséquences touchent d’aussi près à l’avenir de nos relations diplomatiques et commerciales avec la Chine, telle est la tâche que j’essaierai de remplir. Les causes probables de l’insurrection, ses premiers progrès nous occuperont d’abord ; nous l’étudierons ensuite dans sa période récente, et à Nankin même, dont elle a fait sa capitale.

I. — de l’origine de l’insurrection.

Dès qu’on aborde l’examen des causes premières de l’insurrection chinoise, on se trouve en présence de trois versions différentes, nées successivement, ainsi qu’on l’a dit plus haut, de la divergence des théories ou des intérêts. La plus ancienne, la plus généralement accréditée, place l’origine de l’insurrection dans les sociétés secrètes qui depuis plus de deux siècles conspirent en Chine contre la dynastie mandchoue. C’est l’opinion adoptée par un certain nombre de